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Enseignante chercheure à Economia, HEM Research Center depuis 2009, coordinatrice de la chaire Management International et Sociétés, Caroline Minialai est diplômée de l’EDHEC. Elle obtient en 2000 après 8 ans audit et direction financière, l’agrégation en économie et gesti...
Voir l'auteur ...Professeur HDR à l’Ecole Nationale de Commerce et de Gestion, Université Cadi AYYAD de Marrakech et chercheur associé à HEM Research Center. Il enseigne la stratégie, le management et le contrôle de gestion. Ses travaux de recherche portent principalement sur les stratégies d'internation...
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Une enquête menée sur l’apport managérial des écrits scientifiques par Pearce et Huang (2012) montre une baisse significative du pourcentage des articles proposant des actions managériales concrètes entre 1960 et 2010. Sur plus de 420 articles publiés dans deux revues parmi les plus prestigieuses et les plus citées en sciences de gestion (Administrative Science Quarterlyet Academy of Management Journal), les auteurs ont montré que 65% des articles étaient assortis d’actions managériales claires dans les années 60 contre 19% en 2010 pour l’Administrative Science Quarterly ; et que 43% des articles étaient assortis d’actions managériales claires dans les années 60 contre 24% en 2010 pour l’Academy of Management Journal. Les auteurs soulignent que plusieurs articles publiés ne fournissent aucune information susceptible d’être exploitée par l’entreprise.
Dans une autre étude menée auprès de managers, Schmid (2010) montre que le pourcentage des managers qui lisent des publications scientifiques est très faible, et que l’utilité perçue des publications scientifiques pour les activités managériales est presque nulle. Selon l’auteur, les praticiens estiment que la recherche ne répond pas à leurs besoins de managers.
En 2007, Oesterle et Laudien avaient mené une étude auprès d’un échantillon de 153 managers et consultants. Les auteurs montrent qu’à l’exception de la Harvard Business Review(HBR), les interviewés ont une connaissance très limitée des revues scientifiques les plus cotées (liste des revues, objet de l’étude : Academy of Management Journal (AMJ) ; Academy of Management Review (AMR) ; Harvard Business Review(HBR) ; Journal of International Business Studies (JIBS) ; Long Range Planning (LRP) ; Management International Review (MIR) ; Sloan Management Review (SMR) ; StrategicManagement Journal (SMJ).
En ce qui concerne le champ du management international, qui nous intéresse de manière particulière1, l’étude montre que 31% seulement de consultants connaissent la revue Journal of International Business Studies, et que 17% d’entre eux connaissent la Management International Review. Du côté des managers, les résultats sont pires : seulement 11% et 12% connaissent respectivement les deux journaux précités.
Ces différents résultats convergent tous vers une même conclusion : la recherche scientifique en sciences de gestion est faite par des chercheurs pour des chercheurs, et n’impacte que très faiblement les pratiques managériales.
Plusieurs facteurs permettent d’expliquer l’introversion de la recherche en sciences de gestion. Nous prenons ici l’exemple des problématiques traitées en management international et nous analysons les facteurs susceptibles d’expliquer la déconnexion entre le monde de la recherche et le monde de l’entreprise.
Le Journal of International Business Studies(JIBS)2classe les travaux en management international en six sous-domaines3 :
Dans sa charte éditoriale, le JIBS met l’accent sur la rigueur scientifique et l’innovation dans le choix des problématiques traitées. Il attire l’attention des auteurs sur la nécessité d’aborder des phénomènes réels qui permettent de contribuer à faire avancer la recherche en management international.
La variété, la complémentarité et l’innovation des recherches publiées dans cette revue ne laissent pas l’ombre d’un doute quant à la pertinence des problématiques qui y sont traitées. Le désintérêt des praticiens n’est donc pas justifié par la nature des problématiques traitées.
L’explication de ce désintérêt viendrait plutôt du fait que les publications viennent avec trop peu de retombées exploitables par les entreprises. En effet, la politique éditoriale de cette revue en particulier, et celles des revues en sciences de gestion de manière plus générale, ne font pas de l’apport managérial un critère majeur d’évaluation des travaux de recherche. C’est plutôt la rigueur scientifique qui prévaut.
L’absence des retombées managériales est à mettre en lien avec le chemin même de construction de la connaissance emprunté par le chercheur. Ce dernier donne une attention particulière à la méthodologie choisie, à la description et à l’explication des phénomènes étudiés. Il vise par ces détails plus les chercheurs que les managers. Les praticiens, eux, ne prêtent pas trop d’attention à la méthodologie de recherche, et ne sont pas demandeurs d’une description approfondie des phénomènes qu’ils connaissent souvent mieux. Ils sont plutôt intéressés par l’action qui s’ensuit, ce que le chercheur ne considère ni comme priorité ni comme finalité.
Un autre élément explicatif pourrait être lié au canal de publication choisi par le chercheur. De manière pratiquement unanime, les chercheurs privilégient les revues scientifiques classées (pour des raisons évidentes d’évaluation des chercheurs et de leurs structures), au détriment de publications dans des revues managériales non reconnues par les pairs, et rarement valorisées par les institutions auxquelles appartiennent les équipes de recherche. Or, ce sont ces dernières qui sont le plus lues par les praticiens, car plus concises et plus accessibles. Les managers estiment en effet que les articles scientifiques sont souvent complexes et jargonneux.
À partir de cette analyse, nous pouvons conclure sur la nécessité de tisser les ponts entre chercheurs et praticiens au moins par deux actions concrètes. D’une part, les chercheurs devraient mettre en avant les implications managériales de leur recherche de manière claire et significative. D’autre part, ils devraient trouver des moyens plus efficaces et plus accessibles pour communiquer leurs travaux. À ces deux détails près, la recherche scientifique deviendrait une fin en soi.
Notes
Bibliographie