

Fayrouz Yousfi

Hamza ESMILI
Hind Ftouhi
Hind Ftouhi est ingénieur agronome de l’Ecole Nationale d’Agriculture et docteur en sociologie rurale de l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II, Maroc (2021). Dans ces recherches, elle s’intéresse au rôle des jeunes ruraux dans les processus des changements agraires et terri...
Voir l'auteur ...La loi est là mais qu’en est-il de mon droit ? Devenir du Mouvement des Soulaliyates
Ce chapitre est une contribution à l’étude de l’évolution du Mouvement des Soulaliyates à la lumière des récentes réformes apportées par la loi 62-17 relative à la tutelle administrative sur les communautés soulaliyates et la gestion de leurs biens, promulguée en 2019. Nos résultats mettent en évidence l’existence d’un décalage entre la loi promulguée et son application effective sur le terrain. Dans ce contexte, les femmes développent plusieurs stratégies pour négocier l’accès à une part de la terre collective, et doivent faire face à plusieurs contraintes.
Fauchés. Vivre et mourir pauvre
Auteur : Darren McGarvey, traduit de l’anglais (Écosse) par Madeleine Nasalik
Pauvreté : autoanalyse
Dans un poignant témoignage, le rappeur écossais Darren McGarvey analyse les mécanismes de marginalisation et de destruction des exclus.
« La dignité, c’est un truc de riches », relève amèrement Darren McGarvey. Né à Glasgow et élevé dans les quartiers pauvres, le rappeur porte dans Fauchés, vivre et mourir pauvre un témoignage d’une terrible lucidité sur l’école de la misère. « Dans les bas-fonds de ces quartiers, entre l’alcool et la drogue, des gens tâchaient d’élever des enfants. L’un d’eux était ma mère. » Ce livre choc, paru en anglais en 2018 sous le titre de Poverty Safari, a obtenu le prix Orwell la même année – un prix qui salue des œuvres susceptibles de rapprocher le grand public de la politique, par le biais de la littérature et du journalisme. À l’heure où les laissés-pour-compte du néolibéralisme se portent vers l’extrême droite, ce livre place la focale à hauteur d’enfant puis de jeune, pour en montrer les conséquences dévastatrices.
Ce livre est bouleversant non pas seulement pour sa dimension autobiographique, mais pour la force de l’analyse politique qu’en tire Darren McGarvey. Raconter pour lui, c’est décrypter, mettre en perspective. Le détail n’est pas ici anecdotique ni égocentré. Il est une preuve de la distorsion des perceptions en contexte de perturbation, de manque, de handicap, d’humiliation et de violence.
Conditionnement toxique
« Les types comme moi n’écrivent pas de livre – en tout cas, c’est ce que mon cerveau me répète à longueur de temps », écrit l’auteur en préface. Dans Fauchés, il retrace, à chaque étape de sa vie, le décalage entre les données d’un réel ne produisant que des assignations, et ce qu’il a pu réaliser pour devenir rappeur, puis écrivain. C’est d’abord un livre adressé, qui veut partager cette expérience de réussite et ses clefs : « Quand j’écris, j’ai en tête des gens qui me ressemblent : ceux-là ne viennent pas spontanément à la lecture, et je les invite à se servir au hasard à piocher des bouts dans le désordre ou à s’attaquer aux chapitres isolément. » Il insiste sur la fidélité à soi et à ses origines, il témoigne de son propre parcours mais aussi de ce qu’il a appris au cours de son métier d’éducateur dans les prisons, ce qui lui permet justement cette adresse et le ton juste avec lequel il évoque le « handicap social » et les facteurs de blocage. Darren McGarvey s’intéresse à la dimension de victime de personnes qui ont été poussées dans la délinquance : « Sans essayer d’inverser les rôles, on ne peut s’empêcher de constater qu’une grande partie du comportement antisocial et destructeur des délinquants s’enracine dans leur enfance. […] Si vous déroulez la pelote de leur existence, la probabilité est grande qu’ils aient été victimes enfant d’une forme ou d’une autre de violence. »
La grande force de ce livre est son sens de la nuance, mais aussi le fait qu’il évoque la misère non pas seulement en termes économiques, mais dans tout ce qu’elle affecte au niveau psychique, au niveau de l’égalité des chances entravée, au niveau des possibilités non offertes. « La pauvreté est avant toute chose un champ gravitationnel qui englobe des forces hétéroclites- la culture, la politique, la santé, le mental, l’économique et le social ».
Darren McGarvey commence par le plus évident : les séquelles de la violence. Il décortique les stratégies de réponse, celles du corps et celles de l’esprit, à la violence subie, de l’agression brute à l’état d’angoisse liée à une menace larvée constante. Il raconte l’impossibilité dans un groupe d’assumer une émotion positive en parlant de quelque chose de beau, et l’obligation d’enrober sa prise de parole dans la grossièreté pour ne pas faire face aux moqueries voire à l’agressivité des autres.
Il s’intéresse également à la manière dont l’habitat « oriente notre état d’esprit et notre parcours » et brosse au passage l’histoire désastreuse des politiques du logement ouvrier et du logement social à Glasgow, avec des projets conçus par architectes qui ne connaissent pas les gens du quartier mais ont plein d’a priori à leur propos – « les personnes concernées par le programme n’ont jamais été consultées ». Promiscuité, pas d’intimité, pas de vie privée, les failles exposées, puis destruction de ces « anomalies dans la marche du progrès social », effaçant au passage les lieux où les habitants ont une mémoire. Les facteurs dangereux qui se cumulent : désocialisation, maltraitance, toxicomanie – un lien qu’il est urgent de souligner. Darren McGarvey observe la fabrication des préjugés, qui aboutissent à des retranchements « dans sa catégorie sociale » et créent l’impossibilité d’un dialogue. Et il énumère les paramètres susceptibles de donner à son récit une « illusion de neutralité » et en faire une « réalité objective » : problèmes de dépendance à des substances, casier judiciaire, difficultés financières, tentatives de suicide, prison, vote, relation à problème, problèmes de santé, stress… Pour nombre de paramètres, la formulation est négative : « aucun n’est allé à l’université, aucun n’est propriétaire de son logement, aucun n'a d’économies à la banque […] aucun ne fréquente de librairie ou de lieu qui présente un intérêt culturel… » Et de commenter : sous cette forme, « on comprends plus facilement que chaque situation a beau être unique, il est quasiment impossible d’échapper au déterminisme social ».
Darren McGarvey regrette que ces problèmes du quotidien soient négligés par la classe politique, laissant un boulevard à l’extrême droite. Entre conséquence d’un système injuste et responsabilité individuelle, les discours sur la pauvreté étant le fait de personnes qui en ont « une expérience très limitée », il y a un « décalage entre les principaux concernés et les “sachants” [qui] neutralise toute tentative de peser dans la balance tout en donnant aux déclassés l’impression qu’ils ont définitivement disparu des radars de la “culture” ». Autre conséquence : l’abstention et la défiance vis-à-vis des institutions, qui desservent les intérêts des concernés – hormis des expériences de résistance grâce à des personnalités qui réussissent à proposer d’autres possibles. Darren McGarvey appelle à un débat de fond sur le racisme : « Nous ne pouvons pas nous permettre d’ignorer les préoccupations de nos concitoyens sous prétexte qu’elles représentent, dans noter grille de lecture, une insulte ou une menace. […] Il y va de la survie de notre modèle multiculturel. » Il conclut son livre sur un « Manuel pragmatique pour radicaux réalistes », avec cette touche finale : « Ce que je pense, c’est que je me trahirais et je trahirais les mien si je refusais d’admettre que j’ai changé, alors que rien ne m’y disposait. Voilà l’acte le plus radical qu’on puisse accomplir. » Un texte très fort.
Kenza Sefrioui
Fauchés. Vivre et mourir pauvre (2018)
Darren McGarvey, traduit de l’anglais (Écosse) par Madeleine Nasalik
Autrement, 336 p., 250 DH
Soraya EL KAHLAOUI
Soraya El Kahlaoui est titulaire d’un doctorat en sociologie de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Elle est actuellement chercheuse postdoctorale au Centre de recherche Conflict and Development à Ghent University (Belgique). Ses recherches explorent et analysent ...
Voir l'auteur ...Les collectifs à l’épreuve de la propriété privée. Une ébauche de réflexion décoloniale
Cet article vient proposer une ébauche de réflexion théorique visant à aider le lecteur à repenser le concept de propriété privée dans un contexte post-colonial et, en particulier, au Maroc. Alors que des théories anciennes, comme celles de Proudhon ou de Marx, éclairent l’histoire sociale de la propriété privée en Europe, aucune théorie n’éclaire l’histoire sociale de la construction de la propriété privée dans la région nord-africaine.

Soraya EL KAHLAOUI
Après le changement climatique, penser l’histoire
Auteur : Dipesh Chakrabarty
Pour une refonte de l’échelle du temps
Pour Dipesh Chakrabarty, le changement climatique impose de repenser le temps en reliant deux paradigmes autrefois séparés, celui du temps de la nature et celui du temps humain.
C’est une réflexion située, en réaction au changement climatique, mais qui amène Dipesh Chakrabarty à approfondir sa réflexion décoloniale dans le champ philosophique. Dans Provincialiser l’Europe, la pensée postcoloniale et la différence historique (Princeton University Press 2000 et Amsterdam, 2020, pour la traduction française), l’historien indien, professeur à l’université de Chicago et lauréat du prix Toynbee pour ses travaux, proposait de repenser les catégories construites par la modernité européenne pour saisir les sociétés et leur environnement. Dans cet ouvrage, dont on peut se réjouir qu’il ne se soit écoulé que deux ans entre sa publication en anglais et sa traduction en français, l’auteur revient sur la séparation en deux catégories du temps humain et du temps de la nature, qu’il invite à repenser ensemble. « Le globe et la planète – en tant que catégories représentant les deux récits de la globalisation et du réchauffement global – sont liés. Ce qui les rattache, ce sont les phénomènes du capitalisme (au sens large) et de la technologie modernes, tous deux d’une portée globale », indique-t-il en introduction.
La première partie du livre distingue les termes de globe et de planète, et explore les apories du capitalisme, « qui ne nous a pas offert une prise intellectuelle suffisante sur les problèmes de l’histoire humaine que le changement climatique anthropique a révélés ». Pour Dipesh Chakrabarty en effet, la planète est une « catégorie de l’histoire humaine » : si le global, au sens de colonisation de la terre par l’espèce humaine, « est une construction humanocentrique », la planète, elle, « décentre l’humain » puisqu’elle relève de considérations géophysiques bien plus larges. Prendre en compte cette dimension non humaine est nécessaire pour sortir de l’anthropomorphisme issu des catégories élaborées à partir de la Renaissance. Il s’agit non pas seulement de revenir sur le clivage entre homme et animal, mais de considérer la planète comme faisant partie du vivant – et pas seulement comme une donnée immuable, qui ne serait que la toile de fond sur laquelle agit l’humanité. D’autant que l’action de celle-ci a aujourd’hui un impact planétaire certain, qui entremêle désormais l’histoire humaine et le temps long géologique.
Sortir de l’anthropomorphisme
Dans la seconde partie, intitulée « De la difficulté d’être moderne », qui fait le lien à la modernité et réfléchit à l’articulation entre les « conceptions de la liberté des nations postcoloniales et les besoins accrus en énergie », historiquement comblés par la « maîtrise de la nature », Dipesh Chakrabarty revient sur la notion de « privilège » de l’homo sapiens, et propose de reconnaître l’agentivité non seulement des humains, telle qu’élaborée au fil des siècles par la pensée humaniste, mais aussi du vivant au sens large, animaux, Terre etc. L’enjeu est dès lors de recomposer un imaginaire et de construire des régimes politiques qui ne reposent pas sur des positions hiérarchiques. Tout un chapitre est consacré à l’analyse du suicide de Rohith Vemula en 2016, geste politique pour protester contre la marginalisation de la caste des intouchables.
Ainsi, dans la troisième partie, intitulée « Face au planétaire », Dipesh Chakrabarty propose de penser au pluriel l’anthropocène, en en soulignant le caractère multiple. Il invite à adopter « un mode de pensée centré sur la planète », ce qui a des conséquences sur notre manière de comprendre la condition humaine aujourd’hui et, à la lumière de cette nouvelle « conscience de l’époque », à réfléchir à la manière de composer de « nouveaux communs », de nouvelles solidarités qui ne peuvent être que multiples, bref, une « nouvelle anthropologie », « en quête d’une redéfinition des relations humaines avec le non-humain, y compris la planète ». Au cœur de cette réflexion, la notion de reconstruction et de réparation, face aux inégalités accentuées par l’Anthropocène.
Le livre se clôt sur un post-scriptum, une conversation avec le sociologue français Bruno Latour et conclut sur la nécessité de comprendre que l’enjeu est la survie de la civilisation et de la condition humaine, en tant qu’espèce, ce qui passe par le dépassement de « nos vues nécessairement partisanes » et de « nos vies divisées d’êtres humains ». C’est donc une « nouvelle anthropologie philosophique » à laquelle il nous invite dans ce livre très dense, qui analyse des notions aussi complexes que le développement, l’habilitabilité, la soutenabilité… Mais, au-delà de sa dimension éthique, c’est une réflexion politique extrêmement profonde qui nous est proposée.
Kenza Sefrioui
Après le changement climatique, penser l’histoire
Dipesh Chakrabarty
Gallimard, Bibliothèque des histoires, 400 p., 28 €
Frontières et domination ; migrations capitalisme et nationalisme
Auteur : Harsha Walia, traduit de l’anglais par Julien Besse
Contre l’apartheid planétaire
L’essayiste bahrainie Harsha Walia propose une redéfinition de la frontière qui n’est pas une limite géographique mais le cœur d’un système de domination.
Des frontières fermées et militarisées, un discours sur une soi-disant « crise migratoire », des discours de haine à l’encontre des personnes migrantes criminalisées…, pour Harsha Walia, ce ne sont pas des dérives illibérales. C’est le cœur même d’un système économique et politique fondé sur la domination. Pour l’essayiste et militante pour les droits des femmes, des migrants et des autochtones, née à Bahrain et installée au Canada, la frontière est un instrument de domination, au cœur du processus de formation de l’État et de son système idéologique, fondé sur la hiérarchisation des races, des classes sociales et des genres, ainsi que sur l’exploitation des humains et de l’environnement. Et, ajoute l’autrice de Démanteler les frontières (Lux, 2015) : « Un système politique et économique qui considère la terre comme une marchandise, les peuples autochtones comme un fardeau, la race comme un principe d’organisation sociale, les soins prodigués par les femmes comme un travail sans valeur, les travailleurs comme une ressource exploitable, les réfugiés climatiques comme des excédents et la planète tout entière comme une zone à sacrifier doit être démantelé. »
Dans cet essai incisif, qui s’appuie sur des exemples pris dans le monde entier, la cofondatrice de l’ONG No one is illegal revient sur le vocabulaire largement employé dans les pays du Nord pour réduire la mobilité à une « crise migratoire » et montre comment la criminalisation de la migration, le maintien des personnes migrantes dans des situations d’extrême précarité et les discours réactionnaires forment un système cohérent et profondément injuste et destructeur.
La frontière, une méthode
Le propos s’articule en quatre parties, abondamment illustrées par l’étude des pays d’Amérique du Nord, d’Europe, du Golfe et de l’Australie et de leurs politiques migratoires. Il s’appuie aussi sur les témoignages, et les travaux de journalistes et de politologues.
La première partie revient sur les concepts de « crise frontalière » et d’« invasion de migrants ». Il s’agit d’un prétexte aux « pratiques répressives de détention et d’expulsions » perpétrées par des États qui se prétendent démocratiques. Il s’agit surtout d’un retournement de la situation : « Ces formules désignent les migrants et les réfugiés comme étant la cause d’une crise imaginée à la frontière, alors qu’en réalité, la migration de masse n’est rien d’autre que le résultat des crises réelles provoquées par le capitalisme, la conquête et les changements climatiques ». Les véritables responsables sont ainsi exonérés, tandis que les victimes sont incriminées. Le discours présentant les États-Unis comme une « nation d’immigrants » est un mythe pour masquer la violence des conquêtes, des expropriations et des quotas ethniques. L’autrice insiste sur les fondements racistes et coloniaux des politiques impérialistes, en Amérique du Nord, en Amérique du Sud, en Afrique. Traite des esclaves d’Afrique, accords de libre-échange, politiques d’ajustement structurel, mais aussi guerres soi-disant préventives comme en Afghanistan… sur le temps long, les moyens de déstabiliser les économies et de détruire les environnements se sont succédés, contraignant les concernés au départ. En ce sens, la question des frontières est tout sauf une affaire de politique intérieure. Or, note Harsha Walia, la Convention des Nations Unies ne retient pas les causes économiques ni climatiques pour l’obtention du statut de réfugié…
La deuxième partie se penche sur la criminalisation des migrants, qui crée un marché lucratif pour l’industrie de la sécurité et de la surveillance. Ainsi, les frontières ne marquent plus une limite territoriale mais deviennent mouvantes, à travers quatre dispositifs : l’exclusion additionne les effets de lois qui mettent les gens en situation d’illégalité, et du racisme qui construit « la figure de l’immigrant illégal » ; la dispersion territoriale se fonde sur la surveillance omniprésente qui crée la peur et pousse au départ les personnes sans papiers ; l’inclusion-marchandisation exploite la situation précaire des migrants et réfugiés pour les exploiter ; enfin le « contrôle du discours » distingue de façon arbitraires entre migrants et réfugiés. Harsha Walia décortique les mécanismes de dissuasion, d’entrave à la circulation, à la demande d’asile là où les gens le souhaitent, parfois au nom d’une soi-disant « protection des migrants », au nom bien sûr d’un ordre raciste. Elle dénonce la sous-traitance du contrôle de la migration à des pays comme le Maroc. « La sous-traitance du contrôle migratoire à des pays tiers revêt de plus en plus la forme d’une intervention impériale, révélant, au-delà du lien de cause à effet entre impérialisme et migration, comment l’externalisation du contrôle de la migration est elle-même devenue une méthode d’impérialisme contemporain. »
Dans la troisième partie, c’est la portée sociale de cette politique qui est analysée avec « la subordination juridique du statut migratoire à l’emploi » faisant des travailleurs migrants « un bassin de main-d’œuvre captive et servile » dont la « force de travail est d’abord capturée par la frontière, puis contrôlée et exploitée par l’employeur ». Ce dernier a en effet intérêt à maintenir en situation de précarité les travailleurs afin de briser toute organisation et toute revendication de classe. D’où les programmes de migration circulaire, saisonnière ou temporaire. D’où le régime de la kafala dans le Golfe. Autant de systèmes de surveillance stricte et de « ségrégation légale » de travailleurs privés de tous droits et de toute sécurité sociale, et même, dans un Canada qui se félicite de son « multiculturalisme », expulsés lorsqu’ils tombent malade. Bref, « des dispositifs de servitude cautionnés par l’État », et dont les femmes sont les premières victimes.
Enfin la dernière partie analyse les soubassements idéologiques de ce système, avec la montée des extrêmes droites aux États-Unis, en Israël, en Inde, aux Philippines ou au Brésil qui, à coup de populisme, défendent un contrôle social de plus en plus militarisé. Harsha Walia explique les leviers d’essentialisation par le libéralisme de la « différence culturelle », qui nourrit le racisme. Elle analyse la mise en fiction de la politique de la peur et de la haine et conclut : « Nous ne pouvons laisser l’État et les élites devenir les arbitres de la migration et, ce faisant, la qualifier de crise tout en se posant en victimes des migrants. »
Un brillant appel à reconsidérer le monde comme « un chez-soi comme horizon commun ».
Kenza Sefrioui
Frontières et domination ; migrations capitalisme et nationalisme
Harsha Walia, traduit de l’anglais par Julien Besse
Lux, 408 p., 23 € / 300 DH