Le FMI par la loupe de l’ONU

Le FMI par la loupe de l’ONU

Auteur : Nations Unies

Les institutions monétaires et financières internationales issues des accords de Bretton woods (FMI , Banque mondiale, OMC) ne sont plus à l’abri des critiques de l’intérieur du  système onusien .Une résolution de l’assemblée générale adoptée le 19 décembre 2016 a sollicité un rapport examinant le rôle de ces institutions dans  la promotion d’un ordre international démocratique et équitable et ce ,dans le cadre de la rubrique consacrée à la promotion et la protection des Droits de l’Homme.[i]

L’expert indépendant Alfred-Maurice de Zayas [ii] a présenté ce rapport à la soixante douzième session de l’AG réunie en Septembre 2017 .[iii]Le résultat est un document sévère à l’encontre du FMI dont ci-dessous la synthèse :

Un diktat idéologique

Le  rapport  sur le FMI rapporte les effets des politiques financières et économiques appliquées par celui-ci. Il  porte en particulier sur la « conditionnalité » des prêts de cette institution. Un véritable réquisitoire. Pour aborder la question, l’Expert indépendant estime que, dans l’exercice de ses fonctions, le FMI devrait s’assurer que ses pratiques de prêt, en particulier la « conditionnalité » n’entrent pas en conflit avec les normes établies en matière de droits de l’homme. Rappelant les travaux des éminents économistes mondiaux dont des « nobelisés »  très critiques envers le FMI , Alfred-Maurice de Zayas écrit :  « « Ce rapport ne prétend pas faire mieux que Naomi Klein dans son livre phare La stratégie du choc, ou surpasser les professeurs Joseph Stiglitz, Thomas Piketty, Jeffrey Sachs, Paul Krugman, Dani Rodrik, William van Genugten, Graham Bird et Dane Rowlands », il entend surtout formuler des recommandations permettant l’alignement des institutions de Bretton Woods sur le régime international des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, lesquels constituent des obligations non seulement pour les  États, mais également pour les  organisations intergouvernementales et les entreprises transnationales.

L’expert indépendant accuse l’institution d’avoir un positionnement strictement « idéologique » , « Les prêts du FMI, consacrés… au remboursement des dettes ou à la stabilisation des devises s’accompagnent toujours des mêmes exigences : privatiser les biens publics (qui peuvent être vendus à des multinationales guettant l’opportunité de frapper et ce, à des prix bien inférieurs à ceux du marché) ; supprimer les filets de protection sociale ; réduire de manière drastique le champ des services gouvernementaux ; éliminer les réglementations ; et élargir l’ouverture des économies au capital multinational, même au prix de la destruction de l’industrie et de l’agriculture locales. » . Il relève le paradoxe faisant  que sous la tutelle directe du FMI, quelques-uns des pays les plus pauvres ont sous-financé leurs systèmes de protection sociale alors que les débats mondiaux autour des objectifs de développement durable se centrent massivement sur la fourniture universelle des services clés…

Un usurier à dimension universelle !

D’un ton implacable, le rapport  met en relief le caractère usurier du FMI en reproduisant les termes de la fiche technique du FMI sur la conditionnalité stipulant   « Lorsqu’un pays emprunte auprès du FMI, ses autorités acceptent d’ajuster leurs politiques économiques pour surmonter les problèmes qui les ont conduites à solliciter l’aide financière de la communauté internationale. Les conditions de ces prêts permettent également de veiller à ce que le pays soit en mesure de rembourser le FMI ».Le rapport estime que dans la mesure où le FMI continue de mettre l’accent sur l’imposition de limites strictes aux dépenses gouvernementales, il se doit de définir clairement quel type de dépenses est nocif et quel type ne l’est pas. Notamment, les gouvernements ne devraient, en aucune circonstance, réduire les dépenses liées à la santé et à l’éducation, par contre le FMI ne met jamais en cause les dépenses militaires souvent  importants et très couteux.

Le rapport remarque  que « les capacités de surveillance du FMI sont inégalement appliquées selon le statut des économies des États membres. » .Il constate ainsi que « Selon le Bureau indépendant d’évaluation du FMI , cette institution a violé sa propre règle fondamentale en autorisant un sauvetage financier de la Grèce en 2010 sans être à même de garantir que le plan de renflouement permettrait de contrôler la dette du pays ou ouvrirait la voie vers le redressement. ».Il a rappelé aussi les constatations d’un autre expert indépendant onusien:  « À la fin de sa visite en Grèce en décembre 2015, l’Expert indépendant onusien chargé d’examiner les effets de la dette extérieure et des obligations financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits de l’homme, particulièrement des droits économiques, sociaux et culturels » Juan Pablo Bohoslavsky, avait  fait une déclaration soulignant son inquiétude sur le fait que près de 2,5 millions de personnes ne disposaient pas d’assurance-maladie à cause de la crise. Il a souligné que le droit au travail et à la sécurité sociale étaient compromis, que le chômage des jeunes stagnait à 47,9 %, et qu’une personne inscrite au chômage sur dix recevait les allocations de chômage. En parallèle, des millions ne bénéficiaient pas de régimes de protection sociale de base ».

Des Etats pliés à la volonté d’autres puissances

Le rapport considère  que « Le FMI doit s’abstenir de prendre des mesures qui menaceraient la possibilité pour l’État emprunteur de se conformer à ses propres obligations nationales et internationales en matière de droits humains. » et souligne que c’est également ce que rappellent les Principes directeurs relatifs à la dette extérieure et aux droits de l’homme de l’ONU [iv].

Concernant la dette grecque, le rapport note qu’en février 2017, l’Union européenne et le FMI ont décidé d’imposer des « mesures d’austérité » supplémentaires à la Grèce, contraignant notamment ce pays à faire un nouveau remboursement de 7 milliards d’euros à ses créditeurs.

 Concernant la Tunisie, le rapport relève que le  FMI a suspendu les versements du prêt de 2,8 milliards échelonné sur quatre ans pour « contraindre le Gouvernement à procéder à des licenciements en masse dans le secteur public, ainsi qu’à vendre ses actifs et, potentiellement, à diminuer les pensions ». Parmi d’autres conditions, le FMI a exigé que la Tunisie vende ses parts dans trois banques publiques, en plus de l’abolition de 10,000 emplois dans le secteur public .Le rapport rappelle que même  les participants au Sommet du Groupe des Vingt tenu à Hambourg en juillet 2017, avaient  déploré les mesures d’austérité supplémentaires que le FMI a imposées à la Tunisie.

La santé, victime du FMI

Le rapport relève aussi les effets de la conditionnalité des prêts du FMI sur les dépenses de santé dans le monde ; outre l’affaiblissement des infrastructures du secteur public, il constate les risques qu’elle fait prendre au droit à la santé, notamment à travers les exemples d’Ebola , du Sida et d’autres maladies ainsi que sur la santé des enfants dans les pays pauvres.

Le rapport examine le rôle du FMI dans l’ordre International autour de plusieurs volets , le premier concerne la corruption et  l’évasion et transparence fiscales .A ce propos , le FMI  avait répondu a l’expert en soulignant que la limitation des effets néfastes de l’évitement fiscal et de l’évasion fiscale sur les pays en développement requiert un renforcement des capacités, que déploie l’assistance technique du FMI. L’Expert indépendant considère cet argument comme insuffisant et  que le FMI pourrait se montrer plus proactif faisant de la transparence fiscale une condition et ce, en refusant d’octroyer des prêts aux pays qui abritent des paradis fiscaux.

Discrétion du FMI face à la corruption et à l’évasion fiscale

Le deuxième volet concerne le rôle du FMI dans la restructuration de la dette souveraine. A ce sujet, le rapport cite les propos de Anne Krueger en 2001, alors directrice générale adjointe du FMI, qui avait proposé une nouvelle approche de la restructuration de la dette souveraine. Elle remarquait que  « dans le droit interne, les entreprises et les individus peuvent avoir recours à des codes de faillite qui les protègent de leurs créditeurs, alors que les États souverains ne jouissent pas de ce privilège. ».

Le rapport enregistre qu’en juin 2016, le département de recherche du FMI avait  produit un document intitulé « Le néolibéralisme est-il surfait ? », remettant en question l’efficacité de l’actuelle idéologie directrice du FMI. Le document débute par la découverte sinistre suivante : « Au lieu d’apporter la croissance, certaines politiques néolibérales ont creusé les inégalités au détriment d’une expansion durable». L’examen de ces politiques en particulier aboutit à trois conclusions troublantes :

a) Les bienfaits en termes de gains de croissance semblent très difficiles à déterminer à l’échelle d’un large groupe de pays ;

b) Les coûts liés au creusement des inégalités sont importants. Ils témoignent de la nécessité d’arbitrer entre les effets sur la croissance et sur l’équité induits par certains aspects du programme néolibéral ;

c) Le creusement des inégalités influe à son tour sur le niveau et la durabilité de la croissance. Même si la croissance est l’unique ou le principal objectif du néolibéralisme, les partisans de ce programme doivent rester attentifs aux effets sur la répartition.

Afin d’élucider davantage l’application concrète des normes en matière de droits de l’homme aux institutions financières internationales, le rapport propose à ces dernières de demander un avis consultatif de la Cour internationale de Justice. Selon l’expert indépendant, l’article VIII de l’accord du FMI et des Nations Unies autorise explicitement le FMI à exiger des avis consultatifs au sujet de toute question juridique soulevée dans les limites du champ de ses activités.

Le rapport formule une série de recommandations .Constatant que l’évasion fiscale systématique par les entreprises et les personnes les plus riches coûtent aux pays pauvres un montant estimé à 20 milliards de dollars par an. Le rapport propose au FMI d’assujettir ses prêts à un nouvel ensemble de conditions, incluant :

a) L’adoption d’une législation prévenant la corruption et les pots-de-vin, accompagnée de véritables mécanismes de suivi ;

b) L’assurance de l’emprunteur qu’aucune partie d’aucun prêt ne sera utilisée pour satisfaire les réclamations de fonds vautours ou de créanciers récalcitrants.

c) l’assistance des juridictions dans le développement des capacités pour combattre les flux financiers illicites ;

d) la contribution  aux investissements publics dans l’éducation, l’économie des soins, l’eau et l’hygiène, ainsi que d’autres services publics de qualité ;

e) Le soutien des systèmes de pension durables, tel que promis dans le Programme d’action mondial d’avril 2017[v].

Par Bachir Znagui 

 

 

[i] « 22. Prie l’Expert indépendant de lui présenter, à sa soixante-douzième session, un rapport d’étape sur l’application de la présente résolution et l’invite à poursuivre ses recherches concernant l’incidence des politiques financières et économiques appliquées par les organisations internationales et autres institutions, en particulier la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, sur l’instauration d’un ordre international démocratique et équitable ». Source : https://undocs.org/fr/A/RES/71/190

[ii] Alfred-Maurice de Zayas, est depuis 2012 l'expert indépendant des Nations unies pour la promotion d'un ordre international démocratique et équitable. De nationalité américaine ,Il est historien, avocat et écrivain.

[iii] Les Experts indépendants font partie de ce qui est désigné sous le nom des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme. Les procédures spéciales, l’organe le plus important d’experts indépendants du Système des droits de l’homme de l’ONU, est le terme général appliqué aux mécanismes d’enquête et de suivi indépendants du Conseil qui s’adressent aux situations spécifiques des pays ou aux questions thématiques partout dans le monde.

[iv] : « Les institutions financières internationales… sont tenues de respecter les droits de l’homme… Elles doivent à ce titre s’abstenir de formuler, d’adopter, de financer et de mettre en œuvre des politiques et programmes qui contreviennent directement ou indirectement à la jouissance des droits de l’homme ».

[v] Document de la direction générale du FMI


La croissance inclusive, ça existe …

Avec environ un jeune sur deux âgés de 25 à 35 ans disposant d’un emploi – souvent informel et précaire – l’emploi des jeunes pose un grave problème à l’économie, l’Etat et la société au Maroc.La plupart des économistes et des acteurs politiques et professionnels affirment que le remède serait dans un taux de croissance élevé et continu sur la prochaine décennie.Or, lorsqu’on pense croissance, certains critères  sont nécessaires  pour lui apporter un véritable contenu.Une croissance qui ne se répercute  que sur les revenus et les avoirs de 10% de la population la plus nantie

La communication de crise : Bien réagir pour mieux gérer
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La communication de crise : Bien réagir pour mieux gérer

Toute entreprise, société, association ou organisation est confrontée un jour ou un autre à une situation dite de crise. La communication efficace devient alors un procédé fondamental de gestion et de résolution. Chaque cas de crise est unique par sa situation et ses circonstances.

Camélia KERKOUR

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Semer le progrès au lieu de récolter du vent

Le plus souvent , c’est le déficit patent en matière de formation et d’éducation qu’on évoque au Maroc, oubliant  dans le sillage de cette idée, le fait que l’environnement national, politique, économique, social et même culturel tellement dégradé , où baignent les jeunes marocains ; n’arrive même pas à retenir au pays les rescapés parmi ceux-ci  .

Deux facteurs parmi tant d’autres  en sont les révélateurs :

L’égalité en discours et en images

L’égalité en discours et en images

HEM Business School et l’université Mohammed V de Rabat ont créé conjointement en janvier 2016,par la voie d’Economia, centre de recherche de HEM et de la faculté des lettres, la Chaire Fatéma Mernissi. Cette chaire s’intéresse aux différents domaines sur lesquels Fatéma Mernissi avait travaillé, à savoir : "Femmes/hommes, société et démocratie" "Médias et cultures" "Jeunes et dynamiques locales à l'ère de la mondialisation" "Economie réelle et actions sociales".

Les écueils de la mercantilisation de l’art

Les écueils de la mercantilisation de l’art

Auteur : Laurent Cauwet

L’art contre « l’entreprise culture ». Telle est l’opposition radicale que souligne Laurent Cauwet, responsable de la cellule éditoriale Al Dante et organisateur d’interventions poétiques indépendantes. En cause, l’emprise d’une marchandisation dans tous les domaines, qui a conduit à façonner la relation entre artistes et financeurs, qu’ils soient privés mais aussi publics, sur le modèle de l’entreprise. « De Glenn Gould à Bigard en passant par Buren, Beyoncé, Baudelaire, la blanquette de veau ou la coiffe bigoudène, on ratisse large. Les noms deviennent des labels, autant de promesses de produits culturels de qualité dont la consommation dit quelque chose de qui on est. » Les œuvres sont désormais traitées comme des produits. Quant aux artistes, sous couvert d’une « reconnaissance » mesurée à l’aune des commandes et des subventions, ils se retrouvent en dépendance et aliénés vis-à-vis des bailleurs de fonds.

La liberté intrinsèque que suppose la démarche artistique est détournée d’une manière insidieuse et redoutable. Il n’est plus question ici d’une relation classique de mécénat, comme à l’époque des Médicis, mais d’une mise sous tutelle et d’un désamorçage de ce que l’art a de subversif.Laurent Cauwet s’inquiète du caractère insidieux de la méthode, « donnant à chacun l’illusion d’affirmer sa singularité, ses intentions critiques, éventuellement ses velléités transgressives », du caractère redoutable de la censure que cela induit : « La prolétarisation des savoir-faire de l’art et de la pensée oblige à pratiquer avec plus ou moins de subtilité l’autocensure et le formatage des œuvres commandées. »

Musèlement insidieux

Cette « domestication de la pensée et de la création » aboutit à la « séparation radicale entre les lieux de la création et ceux de la critique sociale et politique ».Ainsi, la charge politique et citoyenne que portait la notion d’art dans la rue dans les années 1960-1970 se retrouve vidée de son sens, transformée en « une arme étatique efficace, dont le rôle est de placer le sujet dans une totale passivité, en remplaçant la mise en partage d’un désir de sens par une attitude servile de consommateur abruti ».La culture devient alors un « instrument de contrôle et de conquête des populations », d’abord à destination des quartiers populaires, qui sont les premières victimes au quotidien de la violence étatique, et à l’étranger, dans une politique de maintien d’un leadership économique et politique. « Là où le policier menace, l’artiste amadoue », ironise Laurent Cauwet, qui déplore qu’on utilise l’humanismecomme « étouffoir du politique », pour « la sauvegarde des privilèges des classes moyennes ». Il énumère quelques exemples où la culture a été la façade d’opérations de propagande, comme l’opération Tel-Aviv sur Seine, dans le cadre de Paris-Plage 2015. Marseille Capitale européenne de la culture 2013 avait été, estime l’auteur, « une immense entreprise de blanchiments multiples » et « de gentrification sans précédent », reléguant les populations « indésirables dans des banlieues toujours plus éloignées ».

Laurent Cauwet dénonce l’équation faisant du capital la « confirmation de la liberté de l’artiste » : la rémunération de ce dernier « est autant liée au travail fourni qu’à son accommodement de la domestication ». Il note une censure d’un nouveau type, reconnaissant à l’art sa dimension critique pour mieux l’encadrer : « Ce qui est demandé à l’artiste n’est plus de produire des gestes critiques, mais d’obéir à l’injonction de produire des gestes critiques ».Et gare à qui serait vraiment subversif : en mai 2016, la grève des étudiants des Beaux-Arts de Paris, envisageant d’ouvrir l’école au public, a tourné court, suite à l’injonction qui leur a été faite de protéger le patrimoine contre des « menaces extérieures »… Laurent Cauwet déplore le « règne de l’individualisme le plus strict » qui entrave l’émergence d’une conscience commune aux artistes : « Ces mêmes auteurs et artistes, qui sont à l’avant-garde de la critique sociale en utilisant un outillage théorique emprunté à Bourdieu, Linhart, Marx, Debord, Curnier, Kurz et consort… sont souvent timorés, et pour le moins d’arrière-garde lorsqu’il s’agit de leurs relations avec leurs propres employeurs. » Il interroge les limites entre une quête légitime de moyens pour vivre dignement et la compromission. Il ironise sur le terme galvaudé de bohème, rappelant le prix à payer pour ses choix.

Ce phénomène, déjà inquiétant de la part des pouvoirs publics, s’aggrave avec la multiplication des partenariats public-privé. Laurent Cauwet dénonce l’utilisation de musées publics par de grandes entreprises à des fins publicitaires, comme l’exposition « Ultra peau » initiée par Nivea au Palais de Tokyo à Paris sous couvert de sponsoring. Il s’indigne que le pavillon français à la Biennale de Venise soit sponsorisé entre autres par BNP-Paribas, alors mise en cause pour « complicité de génocide, de crime contre l’humanité et de crime de guerre » pour avoir participé au financement illégal d’achat d’armes automatiques utilisées dans le massacre des Tutsi en 1994. Il pointe la « confusion entre politique entrepreneuriale et pratique artistique » et la « déresponsabilisation de l’artiste ». Il s’indigne surtout que les fondations de grands groupes servent aussi à faire oublier un passé de collaboration pendant la Seconde guerre mondiale (Vuitton), ou de soutien à l’apartheid (Cartier). La « dimension contextuelle », centrale dans l’art contemporain, est ainsi perturbée par la présence de sponsors dont les pratiques sont à l’opposé du message de l’artiste. Quand il ne s’agit pas de censure pure et simple. Ainsi Nation Estate de l’artiste palestinienne Larissa Sansoura été évincée du prix Élysée-Lacoste à Lausanne, car le sponsor a estimé que son œuvre était « exagérément pro-palestinienne » : il lui a demandé de signer un document « annonçant son intention de ne plus participer à la compétition pour des raisons personnelles « afin de se consacrer à d’autres opportunités » ». Si le marché avait au XIXème siècle émancipé les artistes de l’arbitraire du prince, Laurent Cauwet décrit l’excès inverse, où le totalitarisme marchand parvient à détourner les pouvoirs publics de leur mission.

 

Par Kenza Sefrioui

La domestication de l’art, politique et mécénat

Laurent Cauwet

La Fabrique, 176 p., 160DH

 

 

 


Agir sur le déficit en opportunités améliore la mobilité sociale

Agir sur le déficit en opportunités améliore la mobilité sociale

Shana Cohen apporte son éclairage sur la question des inégalités en répondant à un certain nombre de questions.

Évoquer ce qui est juste et ce qui ne l’est pas implique l’existence d’un ordre moral et d’une préoccupation sociale. Cette approche suppose le rejet catégorique de toute dévalorisation de la dignité humaine en raison de statuts économiques. Aujourd’hui, on assiste à une situation dans laquelle la capacité de choisir sa vie se réduit considérablement, ce qui devient un indicateur évident d’inégalité, entraînant un déficit d’opportunités pour la mobilité sociale, ainsi qu’une incapacité à sauvegarder même le statut familial existant. Cela a des effets sur le terrain politique, notamment à travers la montée du populisme et des idées autoritaires. Sans céder sur les valeurs, les réponses appropriées à ces défis sont appelées à être pragmatiques. À titre d’exemple, la politique éducative ne doit pas se réduire à joindre le système éducatif et le marché du travail, mais doit aller au-delà pour assurer aux élèves des écoles et des lycées un savoir les préparant mieux à accéder à l’université, à devenir des citoyens capables d’affronter les incertitudes et à améliorer leurs opportunités dans la vie.

En outre, l’État ne peut réduire les inégalités uniquement par le biais de politiques publiques spécifiques ; il y a également d’autres volets qui font partie de ses obligations dont les effets impactent celles-ci : il doit investir dans les services publics et créer un environnement réglementaire dans le secteur privé contre les distorsions génératrices d’inégalités.

 

Des inégalités à l’indignation

Des inégalités à l’indignation

L’objet de ce papier est de produire une réflexion analytique sur ce que suscite la société inégalitaire du point de vue de celles et ceux qui la subissent. D’abord, en distinguant les individus qui font dans la résignation, considérant les inégalités comme une sorte de fatalité, une prophétie auto-réalisatrice. En deuxième lieu, en tentant de comprendre les mécanismes de cette réaction par l’indignation, qui est l’un des étalons pour mesurer la justice sociale et le début d’une prise de conscience de la ruse du management des inégalités pour recaler les individus « sans qualités ». En dernier lieu, nous verrons comment les inégalités donnent souvent lieu à des ripostes protestataires, mais dont la théorie sociologique est loin de livrer les mêmes explications.

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