Abdelilah Jennane

L’humain dans l’entreprise : Un capital comme un autre ?

L’humain dans l’entreprise : Un capital comme un autre ?

L’émergence de l’économie mondiale du savoir et des entreprises intensives en actifs immatériels accroît l’importance du capital humain, reconnu comme une des principales causes de la croissance économique et sociale. Toutefois, le concept de capital humain ne fait pas l’unanimité. Certains auteurs lui reprochent la déshumanisation de l’individu au travail et sa réduction à une marchandise.
Free your employees

Free your employees

Auteur : Isaac Gets et Brian M. Carney

Un livre passionnant dans lequel métaphores, citations et exemples font le plaidoyer d’une manière de gérer l’entreprise hors du carcan de la bureaucratie et de l’autoritarisme. Liberté and Cie est paru à l’origine en 2009 en anglais, sous le titre : Freedom, Inc. ; sous-titré : Free your employees and let them lead your business to higher productivity, profits and growth. Un tel slogan alors que la crise frappait de plein fouet l’économie américaine et mondiale pouvait paraître extravagant, il n’en fut rien. Bien au contraire, le livre a été, commercialement, un succès.

Traduit en français dès 2012, il a été édité avec comme sous-titre : Quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises. Il a connu un accueil favorable, car fondé sur le récit de divers managers relativement connus, mais dont l’histoire de la réussite était méconnue. Il a révélé leur choix peu commun dans le développement de leurs entreprises. Ils sont différents les uns des autres mais ont en partage un autre modèle de gestion qu’ils adoptent sans départir du contexte d’économie de marché. Le livre a été écrit par Isaac Getz, spécialiste en psychologie et management, et Brian M Carney, journaliste à Wall Street Journal, lauréat en 2003 du prix Bastiat du Journalisme, dans la catégorie des affaires commerciales et économiques. Selon ses auteurs, l’ouvrage est le fruit de recherches et de compilations qui ont duré quatre années.

 

Assumer la liberté à l’intérieur de l’entreprise

 

Au départ, les auteurs relèvent combien dans une société moderne vénérant la liberté et prétendant la considérer comme valeur fondamentale, on se trouve en porte-à-faux par rapport à celle-ci, dans le cadre de l’entreprise, noyau économique du même système sociétal. « Oui pour la liberté d’entreprendre ! », disent les patrons capitalistes. Toutefois, l’entreprise, elle, est une structure organisée le plus souvent, selon une hiérarchie, une discipline et un contrôle permanent, il n’y a aucune place pour la liberté en son sein. Le taylorisme et le fordisme lui font peser un héritage navrant, même si aujourd’hui il est largement dépassé aux États-Unis. Mais, les entreprises demeurent un lieu de contraintes et de règles établies.

Serait-ce le prix à payer pour faire des affaires dans le monde moderne ? Peut-on faire autrement ? Ce sont ces interrogations qui ont amené les auteurs à réfléchir sur une nouvelle relation entre l’entreprise et ses employés, et ils affirment que celle-ci existe bel et bien, et que ses résultats sont probants, comparativement aux entreprises qui adoptent un profil de gestion plus conformiste. Les entreprises libérées dans des domaines d’activité allant de la haute technologie, des services, de la finance à l’industrie lourde, ont réussi. Ces sociétés « ont éliminé tous les mécanismes de contrôle et ont réussi à parvenir à un remarquable développement », affirment les auteurs. La liste déjà impressionnante des entreprises qui ont adopté cette option est renforcée dans le livre par un schéma représentatif des secteurs et des entreprises qui ont osé ce défi. Parmi les exemples cités, Harley-Davidson, Sun Hydraulics…

Comment peut-on réussir ? En écoutant les employés au lieu de leur dire quoi faire, en les traitant comme des égaux et non en limitant l’information à travers une hiérarchie dense et opaque. En encourageant une culture dans laquelle les employés prennent des engagements par opposition aux contraintes de l’emploi, les entreprises sont en mesure de libérer leurs employés pour leur permettre d’être plus productifs, loyaux et engagés et pour atteindre, grâce à eux, des bénéfices significatifs et mesurables et, à la clé, une croissance.

Une réflexion à partir de cas d’entreprises

Les idées proposées par les auteurs sont issues d’expériences engagées concrètement par des managers et basées sur les résultats tangibles d’entreprises de pointe. Les principes retenus ne coûtent rien − si le coût est mesuré en termes de ressources financières ou de temps −, la question repose tout simplement sur la conviction que, si les gens peuvent être libres d’agir dans les meilleurs intérêts de l’entreprise où ils travaillent, les résultats seront meilleurs.

Des entreprises aussi diverses que la compagnie d’assurance USAA, Vigneron Sea Caves de fumée, Gore & Associates, le groupe Richardson ont eu la perspicacité et le courage de remettre en question les croyances sur la nature humaine et celle des employés ; leurs patrons ont fait le choix de gérer sur cette base et ont développé des concepts de management fondés sur la liberté de leurs salariés.

L’ouvrage cite notamment l’expérience pionnière de Robert Towsend qui a été l’un des premiers patrons libérateurs et qui avait permis à Avis de sortir de l’état moribond dans lequel elle se trouvait en 1962. Il ne lui a pas fallu plus de trois années pour que l’entreprise devienne un modèle de croissance aux USA. Towsend a publié un livre précurseur en 1970 intitulé Au-delà du management : comment empêcher les entreprises d’étouffer les gens et bloquer les profits ; un livre plein d’aphorismes et de conseils en faveur de la libération des entreprises et des salariés. Un de ses aphorismes déclare : « Mieux on décrira un poste, plus on le figera… La description des postes non seulement coûte cher et exige une révision constante, mais finit aussi par saper le moral de tout le monde ! ».

L’ouvrage cite aussi le parcours fabuleux de Bill Gore et de son épouse. Salariés pour une société de produits chimiques, la société Dupont, ils ont démissionné pour devenir, quinze années plus tard, les patrons d’un groupe industriel important en aéronautique, énergie et électronique. Bill Gore est un de ces patrons libérateurs qui ont porté dans le cœur l’ambition de transformer la réalité du travail. Il avait constaté chez Dupont que lorsque le patron voulait avancer sur un projet important, il constituait une petite équipe dont les membres travaillaient sur un pied d’égalité. Il n’y avait pas de hiérarchie : « Tout le monde bossait, tout le monde mettait ses compétences en commun ». Mais une fois terminée la mission, les uns et les autres reprenaient leur place dans le système de discipline et de hiérarchie en vigueur. De là est née son idée de faire de cette structure collaborative exceptionnelle la structure permanente de son entreprise.

 

Un nouveau paradigme de gestion de l’humain

 

Tout au long des récits de ce livre, puisés à travers des enquêtes de terrain avec les patrons et les salariés, on se trouve face à des principes de gestion qui s’annoncent comme suit :

  • Cesser de parler et commencer à écouter. Ensuite renoncer à tous les symboles et à toutes les pratiques qui empêchent les salariés de se sentir intrinsèquement égaux.
  • Commencer ensuite à partager ouvertement et activement sa vision de l’entreprise pour permettre aux salariés de se l’approprier.
  • Arrêter de motiver les salariés et mettre en place un environnement qui leur permettra de s’autodévelopper, de s’autodiriger et s’automotiver.
  • Rester vigilant. Une vigilance de chaque instant est le prix de la liberté et de sa durée.

Le nouvel ordre instauré n’est pas un lieu de désordre et d’anarchie. Pour assurer une bonne coordination et éviter tout dérapage, l’entreprise chez Gore adopte comme devise quatre principes : liberté, équité, engagement et ce qu’il appelle une « ligne de flottaison ». Concept emprunté au jargon marin et qui signifie une certaine autodiscipline (être ensemble « sur un même bateau »). L’engagement exprime aussi cette autodiscipline. À titre d’exemple, les nouveaux recrus ne sont pas affectés immédiatement à des postes mais choisissent par eux-mêmes, sur la base de leurs compétences et penchants, le volet par lequel ils entendent participer au travail de l’entreprise.

Un autre exemple de gestion cité fréquemment dans ce livre est celui de Zobrist, le patron de FAVI, principal constructeur des pièces des boîtes à vitesse en Europe et dont le parcours a commencé en 1983 par son arrivée au poste de directeur général dans un contexte de crise. La nouvelle expérience a permis de relancer la société et d’assurer une croissance durable ! Zobrist a fondé sa relance sur les salariés et l’élimination du personnel des cadres. « Sans licenciement ni révision de salaires », assure-t-il. Celui-ci a théorisé sa manière de gérer en opérant une classification des entreprises entre le modèle du « comment » et celui du « pourquoi ». Le premier représente une pratique majoritaire où les patrons et leur encadrement se dépensent à travers la hiérarchie à montrer à leurs subalternes comment faire pour parvenir aux objectifs fixés. Le second se limite à expliquer pourquoi l’entreprise agit souvent en vue de la satisfaction des clients ou consommateurs et laissant aux employés le soin de trouver les moyens d’y répondre. Entre ces deux modèles, le premier est coûteux, peu inventif, difficile à transformer, mais relève de la tradition la plus répandue. Le second est peu fréquent mais, en lisant ce livre, on se rend compte qu’il n’est pas si rare, et qu’il fait la gloire des professionnels dans tous les domaines avec une stabilité et une durabilité insoupçonnables, et ce, tout en soulignant qu’il n’est pas unique pour développer la liberté des salariés au sein des entreprises. L’ensemble de l’ouvrage est un récit décrivant des situations et des exemples concrets que des patrons libérateurs ont réussi à faire en se servant de leur créativité et de leur sagesse. Un livre que nos managers feraient bien de lire ! 

 

Par : Bachir Znagui


L’entreprise familiale : L’humain au coeur de l’aventure

L’entreprise familiale : L’humain au coeur de l’aventure

Forme dominante des entreprises au Maroc et dans le monde, l’entreprise familiale interpelle tout autant les gestionnaires que les sociologues ou les psychanalystes. Ainsi, s’interroger sur la dimension humaine au sein des entreprises familiales revient à se pencher sur les individus qui les composent, leurs caractéristiques et leur position au sein de l’unité économique et au sein de la famille.

Ubérisation accélérée

J’ai écrit ce blog au début de l’été dernier,  je pensais alors  qu’Uber n’a pas mis pied au Maroc encore, mais ce n’était pas le cas , dès le mois d’aout j’apprenais que des syndicats de Taxis à Casablanca déclaraient leur grogne contre cette concurrence illégale  et que la wilaya de la même ville annonçait pour sa part que les activités en cours d’Uber au Maroc étaient non conformes à la loi. Depuis, la polémique et les protestations sur ce dossier ne cessent de se propager chez nous aussi. Ci-dessous l’intégralité de mon texte initial 

Edito 26: Demain, l’entreprise démocratique ?

Le sociologue Alain Touraine, qui vient d’annoncer au monde, tel un oracle, la fin des sociétés déclare à Economia : « Les entreprises devront apprendre à devenir démocratiques ». Voilà qui va à l’encontre de ce qu’on prenait jusque-là pour une lapalissade : « Les entreprises, nous dit-on depuis des décennies, ne sont pas des entités démocratiques ».


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L'humain dans l'entreprise, une entreprise humaine !

Les regards portés par les sciences humaines sur les lieux du travail et sur les liens qui se créent entre humains par le travail, à l’intérieur et en dehors de l’entreprise, permettent de saisir les diverses tensions à l’œuvre, que les procédures managériales à elles seules ne parviennent pas à cerner.

A parts égales[1]

L’entreprise familiale est au coeur du dernier roman de Joanna Trollope, auteur britannique contemporain, dont le titre original ne trompe pas. « Balancing Act » ou comment équilibrer sa vie de famille et sa vie professionnelle, quand l’entreprise c’est la famille, et la famille c’est l’entreprise !

Qu’est-ce que le clientélisme ?

Qu’est-ce que le clientélisme ?

Auteur : Hélène Combes et Gabriel Vommaro

Hélène Combes et Gabriel Vommaro analysent les évolutions du concept de clientélisme et de ses différents usages, au carrefour du politique et de l’économie morale.

 

Une société démocratique, ce serait d’une part un « État légal-rationnel (selon la typologie wébérienne) », c’est-à-dire universel et anonyme, dépassant les formes de politiques « traditionnelles », et d’autre part, l’avènement de « l’individu-citoyen émancipé des rapports de dépendances et d’interconnaissance », bref, l’inverse de ce qu’on entend communément par clientélisme. Or, montrent Hélène Combes et Gabriel Vommaro, cette définition est bien trop schématique. Les deux chercheurs en sciences politiques se penchent sur la question de la relation entre les rapports personnels et les relations politiques et proposent une relecture riche et stimulante de la notion de clientélisme. Celle-ci, « au cœur de luttes de délégitimation » et « difficilement dissociable de sa portée morale », est au carrefour de nombreux travaux dans diverses disciplines : anthropologie, sociologie, sciences politiques, et même histoire.

Sociologie du clientélisme retrace l’histoire intellectuelle du concept, depuis les travaux d’anthropologues marxistes et évolutionnistes comme Éric Wolf ou George Foster dans les années 1940, jusqu’aux récentes études du vote bying. Ils rappellent que c’est d’abord dans les sociétés dites primitives qu’ont été étudiées les relations interpersonnelles, avant que les chercheurs ne se penchent sur les sociétés méditerranéennes (en Espagne, en Italie et en Grèce notamment), puis que la science politique ne s’approprie la notion de clientélisme dans les années 1970. Une des principales interrogations des chercheurs de l’époque était l’articulation entre clientélisme et modernisation : « Dans la littérature dominante, le clientélisme est simultanément considéré comme la conséquence et la cause du sous-développement. Une conséquence, car on le rencontre généralement dans des économies de subsistance où une minorité – les patrons – contrôlent des ressources vitales pour le plus grand nombre – les clients. Mais le clientélisme est aussi à l’origine du sous-développement car les patrons ont tout intérêt à maintenir le statu quo et utilisent ainsi leur pouvoir d’intermédiation pour faire obstacle au progrès. » La question du rapport à l’État et à l’administration publique a aussi été posée, ainsi que son corollaire : la corruption. Dans une certaine littérature scientifique autour du concept de clientélisme, résument Hélène Combes et Gabriel Vommaro, il y aurait donc d’une part des États centralisés, « favorisant l’accès méritocratique à l’appareil administratif », et de l’autre des États décentralisés où priment les relations personnalisées, « où l’appareil administratif n’arrive pas à s’implanter de manière homogène sur l’ensemble du territoire et où les élites locales « placent » leurs partisans dans l’administration. » Pas si simple, surtout aujourd’hui… Les auteurs rappellent que la notion de clientélisme a connu un nouvel essor dans les années 1980, à la faveur des programmes internationaux de lutte contre la pauvreté, qui mettaient en avant les notions de gouvernance et de transparence, et insistaient sur le rôle de la société civile dans l’empowerment des pauvres. Hélène Combes et Gabriel Vommaro regrettent, dans l’analyse de ces phénomènes, un certain « triomphe du modèle de l’homo oeconomicus » dès les années 1990, comme angle d’approche par trop limité.

 

Démultiplication de l’offre politique

 

Au contraire de ces lectures normatives, les deux auteurs adoptent une démarche comparatiste, dont le fil conducteur est l’existence de rapports politiques personnalisés, entre acteurs à ressources inégales, avec des échanges de biens, mais dans différents contextes (Japon, Italie, Argentine, Mexique, France, États-Unis) et à différents moments (transition démocratique, accès au suffrage universel, « vieilles démocraties » …). Dans un premier temps, ils reviennent sur le schéma relationnel entre patron ou boss – figure qui a inspiré de nombreux films –, client, et intermédiaire. Ils rappellent combien la figure de ce dernier est essentielle, mais aussi combien récente est l’attention portée à la parole du client. Longtemps perçus comme « des acteurs à faibles ressources, subissant des rapports de domination dont ils n’ont pas vraiment conscience – ou dont ils ont une conscience déformée par une « culture incivique » ou par un « familiarisme amoral » ». Ils notent également que souvent, les classes moyennes ne sont pas partie prenante des relations clientélaires et sont celles qui les dénoncent.

Le cœur du livre porte sur la perception du clientélisme. D’ailleurs, de nombreux encadrés font référence à des films, des romans et des séries, qui soulignent justement combien le phénomène a infusé dans la société et interpelé les artistes qui en ont reflété dans leurs œuvres la complexité. Au final, Hélène Combes et Gabriel Vommaro soulignent la nécessité d’envisager le clientélisme à la lumière de l’environnement social, économique et politique global. « La notion d’ « économie morale », empruntée à l’historien Edward P. Thompson, permet de comprendre comment s’organisent les principes de perception et d’appréciation émiques de ces phénomènes, et notamment de mettre au jour le sens de la justice qui les sous-tend. » D’autant que depuis les années 1980, l’heure est à la décentralisation administrative, ce qui a pour conséquence la multiplication des interlocuteurs, l’absence de monopole et donc la possibilité de mettre fin à la relation de clientèle pour en choisir une perçue comme plus avantageuse, donc la possibilité de négocier, ce qui nuance la notion de domination liée à celle de clientélisme. Celui-ci, concluent les auteurs, « existe dès l’instant où il est nommé, c’est-à-dire lorsque, dans une situation donnée de lutte politique et/ou d’expertise, certains répertoires et liens politiques sont perçus comme relevant de logiques d’échange inégal, mettant en jeu et en circulation des ressources réputationnelles » : il a donc une dimension performative. Pour mieux le cerner, il est donc essentiel d’abandonner des grilles de lectures normatives pour saisir la réalité dans toutes ses nuances.

 

Par : Kenza Sefrioui

 

Sociologie du clientélisme

Hélène Combes et Gabriel Vommaro

La Découverte, Repères, 128 p., 10 €


Des aléas si peu favorables

Baisse du taux d’activité au niveau national pour toutes les catégories de population et surtout les jeunes, voilà ce qui ressort des dernières statistiques du HCP en matière d’emploi. La parade officielle du gouvernement à ces données, on la connait depuis quelques mois ; elle s’étale sur plusieurs registres, dont l’augmentation du nombre des bénéficiaires d’une formation qualifiante, l’extension des programmes de l’Anapec et puis l’auto emploi et le développement du travail social.

 

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