Entretien avec Ahmed Ben Romdhane : ​Une RSE en amont

Entretien avec Ahmed Ben Romdhane : ​Une RSE en amont

​UPC Renewables est une société américaine travaillant dans le greenfield1 aux États-Unis et ailleurs dans le domaine des énergies éoliennes et solaires. Sa manière de concevoir les projets est assez particulière, son style de mise en œuvre de la responsabilité sociale de l’entreprise un modèle assez spécifique.
Gouverner le vivre-ensemble

Gouverner le vivre-ensemble

Auteur : Béatrice Hibou et Irene Bono

Le gouvernement du social au Maroc est un ouvrage qui explique le système de gouvernement politique à l’œuvre dans notre pays. Celui-ci est « l’expression simultanée d’une hégémonie certaine mais aussi d’actions hétérogènes, plurielles, éclatées, fragmentées qui ne cessent d’entrer en conflits ». L’approche se présente comme une série de nouvelles compositions, d’inventions et d’arrangements en des moments précis, ce qui donne place à une pluralité d’interprétations, parfois même conflictuelles.

Le gouvernement du social au Maroc, édité chez Karthala en 2015, rend compte d’un travail réalisé sous la direction de Béatrice Hibou, directrice de recherche au CNRS (Sciences Pô-CERI) et d’Irène Bono, maître de conférences à l’Université de Turin (Département Cultures, Politique, Société). Cet ouvrage ne manquera pas de stimuler la réflexion des chercheurs marocains en sciences sociales et politiques, et celle des différents acteurs sociaux et politiques du pays.

Fruit d’une recherche qui s’est étendue sur quatre ans (de 2012 à 2015), Le gouvernement du social au Maroc a été réalisé par un groupe très dynamique de sociologues, dans le cadre du CRESC (Rabat, Faculté de gouvernance, sciences économiques et sociales, Université Mohamed VI Polytechnique). La démarche de ses auteurs entend se démarquer des lectures usuelles du « social » et de sa « question », lesquelles sont souvent fondées sur des délimitations rigides : société, État, politiques publiques… Ces identifications statiques et intemporelles aboutissent souvent à des conclusions aussi rituelles que stéréotypées. Les auteurs ont opté pour une approche qui reconnaît d’emblée les frontières imprécises du « social », tenant compte de la pluralité des acteurs et la diversité de ses dispositifs. Ils se sont orientés vers une lecture susceptible d’en remodeler plus efficacement les formes. Les auteurs se sont proposés d’explorer les administrations des espaces, des catégories, des temporalités, des imaginaires ou des conflits afin d’aborder leurs liens sociaux, leurs appartenances, leurs médiations, et pouvoir également reconnaître les aspects relatifs à l’ordre établi.

 

De la pluralité des formes du social

 

Dans une tradition wébérienne, l’ouvrage appréhende le « social » à travers ses relations et ses interactions quotidiennes, qui sont d’ailleurs sans cesse réinventées, sans préjuger des formes de la société. C’est donc la pluralité des formes du « social » et des façons par lesquelles elle peut être gouvernée qui est mise en valeur dans ce travail, pluralité qui fait écho non seulement à la trajectoire historique propre à chaque situation analysée, mais également à la diversité des référents structurant la conception de l’État et des rapports de pouvoir au sein de nombre de segments de la société.

Dans « le gouvernement du social », on ne peut penser celui-ci de façon isolée. Il faut l’articuler aux logiques politiques du vivre-ensemble, en prenant en compte aussi bien le cadre légal qui définit l’ordre politique ou économique que les ressorts idéologiques et culturels des stratégies de légitimation, les définitions de la sécurité ou de la stabilité, les conceptions de la citoyenneté ou du bien commun. Penser ainsi le gouvernement du social, c’est aussi redéfinir en permanence l’appartenance et les logiques d’inclusion et d’exclusion.

La construction des espaces sociaux est abordée par Yasmine Berriane à travers l’exemple des maisons de jeunes à Casablanca et leurs multiples figures de l’intermédiation. Cet examen l’a conduit au constat de « la pluralité des modes de délégations, de référentiels et d’acteurs formels et informels qui contribuent à articuler État et société ». « Gouverner par moments », volet examiné par Nadia Hachimi Alaoui traite des transports urbains à Casablanca, et interroge les modes de régulation de ce secteur en analysant les manières de faire des wali à propos de ce dossier ; elle conclut que les situations sociales devenues plus tendues contraignent l’État à intervenir « sans qu’il ait pour autant défini une stratégie et une politique « sociales ». L’article de Valentine Schehl, intitulé « Du blé au pain, que régule-t-on ? », montre comment la politique de compensation de la farine ne fonctionne pas en vase clos. Les circulations étant nombreuses entre « public » et « privé », la régulation du prix de la farine libre et du pain est dépendante de l’existence de la subvention, laquelle compense le prix d’une partie de la farine mais aussi de son détournement (celui-ci advient de diverses manières). Elle fait remarquer que la politique des prix au Maroc « n’est assumée et déployée ni par l’administration de façon directe, ni par des politiques publiques à proprement parler ».

Redouane Garfaouia choisit un angle impliquant le syndicalisme marocain. Il a examiné « le prix de la paix sociale au port de Casablanca », notamment à travers la longue histoire de l’intermédiation en emploi dans ce port (1916 à nos jours). À travers une hégémonie syndicale établie à la veille de l’indépendance du pays, l’auteur constate qu’aujourd’hui il n’y a plus de dockers intermittents, la transition de l’ancien régime de manutention vers le système actuel s’étant déroulée en douceur. Ainsi, « même à l’heure de la vérité des prix, le “social” reste le principal champ dans lequel se négocient les rapports ».

L’ouvrage focalise aussi sur le courtage de l’emploi domestique et la production de l’ordre social (Leila Bouasria), ainsi que sur la patrimonialisation d’une région marginalisée (le Rif) à travers la révélation des conflits classiques portant sur les rapports de la société locale à l’État central mais aussi sur les conflits latents concernant l’appartenance, la définition du groupe et les modes de gouvernement (Badiha Nahhass).

L’article de Ben Della, intitulé « Une catégorie juridique pour gouverner le social », a fait l’inventaire minutieux de la gestion des terres collectives à travers les régions et les politiques concrètes. Il démontre le rôle du dahir de 1919 – référence absolue dans le foncier –, qui a constitué un acte bien particulier, « celui de légiférer par omission ». Ses effets persistent encore aujourd’hui. Irene Capelli s’est consacrée à la question de l’aide aux mères célibataires, qualifiant la situation de « production bureaucratique et morale d’un impensable social ».

 

Les enjeux sociaux passent souvent par des médiations peu institutionnalisées

 

Le gouvernement du social a plus particulièrement mis en évidence l’importance des modalités indirectes du traitement du social, parfois difficilement perceptibles, et la multiplicité des façons de le gouverner. À partir de catégories (les « mères célibataires », les « pauvres », les « petites bonnes »), d’institutions sociales (les maisons de jeunes, la caisse de compensation), de secteurs économiques (le port ou les transports urbains à Casablanca) ou encore de territoires (le Rif ou les terres collectives dans les Hauts Plateaux de l’Oriental), ce livre montre que ces enjeux sociaux sont largement pris en compte en dehors des politiques publiques formalisées, et qu’elles passent le plus souvent par des intermédiaires et des médiations peu institutionnalisées, ce qui alimente compromis et équivoques, mais ouvre ce faisant l’horizon des possibilités et des bricolages en jouant sur la souplesse, l’adaptation et les arrangements.

Le gouvernement du social au Maroc apporte des réponses et des explications concernant le système de gouvernement politique à l’œuvre. Celui-ci est l’expression simultanée « d’une hégémonie certaine et d’actions hétérogènes, plurielles, éclatées, fragmentées qui ne cessent d’entrer en conflits ». Cette approche se présente comme une série de nouvelles compositions, d’inventions et d’arrangements en des moments précis, ce qui donne place à une pluralité d’interprétations parfois même conflictuelles.

S’inscrivant dans la continuité de deux titres précédents (parus dans la même collection : Recherches internationales), consacrés à la privatisation des États à l’âge néolibéral et à l’État d’injustice au Maghreb, ces recherches inédites ouvrent de nouvelles perspectives à la sociologie historique du politique, bien au-delà du seul cas du Maroc.

 

Par Bachir Znagui, journaliste-consultant, Cesem-HEM

 


Michel CAPRON

Edition annuelle 2017 : Décalages et tiraillements économiques

Edition annuelle 2017 : Décalages et tiraillements économiques

Être marginal n’est ni être exclu ni être à la traîne. Spatialement, cela veut dire être à l’extrémité, sur les bordures ou aux frontières. Et socialement, cela indique une personne, un groupe social, une collectivité, non conforme aux normes, aux critères admis ou retenus dans un système donné. À partir de là, la compréhension de la marginalité diffère selon la position que chacun adopte. Mais quelle que soit notre perspective, « être à la marge signifie que l’influence du centre (et donc de la norme) sur nous est faible. (Aussi) on peut plus facilement prendre du recul sur elle.


Abdelhak Kamal

Fouad Benseddik

Entreprise-cité, le couple improbable

S’il y a une tendance majeure, ayant le vent en poupe sous les auspices d’une mondialisation en crise, c’est bien la confusion des genres entre entreprises privées et politiques publiques. Cela se traduit par le retour de l’autorité des États claironnant le souverainisme ou l’isolationnisme (selon la puissance des uns et des autres). Et cela donne lieu à un vrai-faux désengagement économique des États au profit d’entreprises alliées, de plus en plus mises au devant de la scène publique. En somme, une reconfiguration politique des rapports entre États et entreprises est en cours.


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Entreprise et cité

Les travaux en sciences humaines et sociales, traitant de l’articulation « Entreprise et cité », sont relativement nombreux.  Ces travaux, qu’ils relèvent de gestionnaires, d’économistes ou de sociologues, abordent cette articulation principalement à travers un triptyque : le rôle économique, social et sociétal de l’entreprise.

Attentat contre le cinéma

Attentat contre le cinéma

Auteur : Jean-Louis Comolli

Le réalisateur français Jean-Louis Comolli analyse les vidéos de mise à mort qui servent à la propagande de Daech.

 

Si le cinéma est peuplé de morts qui se relèvent, filmer la mort est autre chose. Et qu’une caméra soit attachée au corps d’un tueur, là est le scandale. « J’ai essayé de comprendre cette extravagance et ce qui, en elle, porte atteinte à la beauté comme à la dignité du geste cinématographique », explique Jean-Louis Comolli avec l’espoir de « sauver le cinéma de ce qui le salit, condensable dans la formule du tout visible ». Réalisateur, écrivain, ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, il nous propose une réflexion aussi passionnante que nécessaire sur l’acte de filmer.

Il commence par s’imposer la description, en termes succincts mais néanmoins glaçants, de quelques-unes des exécutions avec lesquelles Daech a épouvanté le monde. Premier constat : le professionnalisme de l’organisation, dont le studio Al-Hayat Media Center produit des films dans les règles de l’art : cadrage, enregistrement et projection. « Tous sont coiffés de génériques en images de synthèse, avec effets visuels et sonores, parfois, souvent, une musique militaire entraînante, des airs guerriers de marche… » Et dans tous les cas, une mise en scène. « Il ne s’agit pas seulement de faire voir, il s’agit de montrer, avec toute l’obscénité que porte cette insistance. L’insistance même de la plupart des films pornographiques, que ne rebutent ni les répétitions ni les très gros plans. Il ne s’agit pas seulement de voir, mais de voir en détail. » Ici, aucune place laissée au hors-champ, à cette « réserve d’espace et de temps qui pourrait être consommée, ou non ». Second constat : la capacité, jusque là inédite, de Daech à rendre visibles ses films aux quatre coins de la planète un temps record, grâce au numérique.

L’essai de Jean-Louis Comolli témoigne de son courage à avoir affronté ces films. Pour répondre à l’horreur, l’auteur prend appui sur les fondamentaux de l’art cinématographique et surtout sur son éthique. Il y a, rappelle-t-il, un lien ancien entre l’image et la mort, que le cinéma depuis un siècle tente de rendre « imaginairement réversible » : « Filmer la mort, c’est la faire passer dans le domaine des images, sous le régime des représentations, dans cette zone intermédiaire entre réel et irréel ». C’est donc résister à la toute-puissance de la mort par le principe de non-réalité, d’illusion. C’est célébrer la vie.

 

Un dispositif de cruauté

 

Mais dans ces « clips de la mort », ce qui est mis en scène, c’est une mort réelle. Les codes de représentation font référence à des éléments bien réels : la violence de Daech se pose en miroir d’autres violences, les uniformes de ses condamnés ont la même couleur orange que ceux des prisonniers de Guantanamo. Malgré le fait que le bourreau sourit – « s’il n’était pas filmé, sourirait-il ? », malgré le parallèle que relève Jean-Louis Comolli avec la société du spectacle et le syndrome de la séparation (tête coupée) pensées par le situationnisme, il n’en demeure pas moins que ces films montrent une « scène du crime » réelle. Or, tout spectateur de cinéma ayant appris à ne pas confondre réel et représenté envisage spontanément qu’il puisse s’agir d’un simulacre, que ce qu’il voit « demande à ne pas être cru », s’appuyant pour se faire un jugement et donner un sens aux images, sur « ce qu’il sait du film avant la projection ». De ce fait, il ne peut que s’interroger sur son rôle à la vue du film. « Les clips de mise à mort de Daech soulignent l’impuissance du spectateur à « empêcher imaginairement » ce qui arrive sur l’écran », à le subir « de manière de plus en plus masochiste ». Et Daech transforme cette impuissance à s’engager en indignité. Une démarche totalitaire, au sens où Hannah Arendt l’entendaient, avec abolition de la distinction entre vrai et faux. Jean-Louis Comolli relève d’ailleurs que Daech en faisant ces films pour se glorifier, franchit un pas dans l’horreur : même les nazis avaient soigneusement veillés à ce que leurs crimes ne soient pas médiatisés, voire avaient organisé la Solution finale pour que les assassins n’aient pas à voir leur victimes.

Ainsi, à la « misère esthétique » de ces films et à leur « principe pornographique », s’ajoute « leur déchéance éthique ». Leur dispositif de surenchère procède par répétition, volonté de toujours en montrer plus, tend vers le « trop plein ». Par ailleurs, « chez Daech, point de Requiem. La mort est filmée sans que ce à quoi elle pourrait ou devrait donner lieu atteigne à la dimension de l’art – laquelle est toujours un dépassement de la mort. » Et surtout, ces films veulent dénier toute liberté au spectateur, en l’empêchant non seulement d’imaginer ce qui aurait pu se passer – imagination qui peut être parfois pire que la scène elle-même –, mais aussi de refuser de croire à ce qu’il voit. Pire, en les prenant en otage moralement : « Les metteurs en scène de la torture que sont les exécuteurs de Daech savent bien qu’il faut un spectateur pour que l’horreur soit, qu’entre le bourreau et la victime il faut quelque chose d’un tiers, précisément ces êtres inconnus et du bourreau et du supplicié que sont les spectateurs, que c’est donc, seul, celui qui regarde l’action filmée, le spectateur, qui porte toute la charge de l’horreur. » Un ouvrage important à l’heure où la multiplication des écrans et l’omniprésence des images transforment et le statut de l’image et la responsabilité du spectateur.

 

Par : Kenza Sefrioui

 

Daech, le cinéma et la mort

Jean-Louis Comolli

Verdier, 128 p., 180 DH

 

 


Sens et valeurs de travail

Sens et valeurs de travail

Les séminaires menés par Economia, HEM Research Center en 2014/2015 sur la reconnaissance des individus dans les organisations, ont révélé avec acuité les difficultés et mal-êtres que vivent les salariés, dont la reconnaissance de leur travail et de leur personne est mise à mal par des systèmes managériaux peu stimulants. C'est dans le prolongement de ce constat que le centre de recherche de HEM a constitué une équipe pluridisciplinaire visant à étudier le sens et la valeur du travail dans les organisations marocaines. Dans un premier temps, l'étude se focalisera à explorer sur les secteurs de l'industrie et du commerce les tensions dans les complexes d'interactions qui lient politiques d'entreprises et aspirations individuelles, collectives et organisationnelles. Une meilleure compréhension du sens donné à l'action, des valeurs qui fondent et animent le travail, de l'intégration des collectifs, ou encore des dimensions de plaisir et de souffrance au travail, constituent des territoires clés, qui permettront aux managers de disposer de grilles de lectures utiles à une meilleure adéquation entre bien-être individuel et performance économique.

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