Home sweet home, mais comment ?

Home sweet home, mais comment ?

Auteur : Mona Chollet

La journaliste Mona Chollet se penche sur la notion d’intérieur et y trouve les échos des préoccupations économiques et sociales contemporaines.

 

« Trois heures du matin, par une nuit de janvier. Étendus côte à côte sous une grande couverture matelassée, impeccablement bordés, offrant une image de conjugalité paisible, leurs effets personnels à portée de main, ils dorment. Mais les bonnets dont ils sont coiffés ne relèvent pas d’une coquetterie vieillotte qu’expliquerait leur âge : leur lit est encastré dans une entrée d’immeuble ». Cette scène, hélas trop familière aux habitants des grandes villes, souligne l’absence terrible d’une maison, d’un chez soi, et ses conséquences dramatiques. Or, quoi de plus politique que l’intimité, en effet ? La journaliste et essayiste Mona Chollet, auteure du remarquable Beauté fatale, les nouveaux visages d’une aliénation féminine (Zone, 2012, http://www.economia.ma/fr/numero-17/kq/sois-mince-et-tais-toi) poursuit son analyse des échos de l’aliénation dans les sphères intimes. Chez soi, une odyssée de l’espace domestique commence sur un éloge des casaniers. La question est tout sauf légère. Car apprécier le repli sur son intérieur, donc sur soi, cela implique un certain rapport à l’espace, à la connaissance (via tout un art des bibliothèques), à la solitude – un moment pour « s’affranchir du regard et du contrôle social »… Or, que signifie habiter sa maison à l’heure où toute une industrie « nous vend de la félicité domestique jusqu’à l’écœurement », où l’injonction est justement non pas d’habiter, mais de consommer, avec ce que cela implique d’exigence de rendement, de sacrifice et de « consolation dans le seul domaine de la consolation » ? À l’heure surtout où la vie de la majorité des gens est pulvérisée par les contraintes d’une économie dominée par le néolibéralisme et par la crise ?

 

Habiter en temps de crise

 

La réflexion de Mona Chollet se construit en étoile, par thématiques, toutes bien entendu reliées entre elles par la question du chez-soi. L’auteure interroge d’abord le rapport entre espace public et espace privé et les transformations que cette distinction subit à l’âge du virtuel et des réseaux sociaux qui font reculer les « possibilités d’autarcie », sans pour autant se situer dans le rejet ni la condamnation de cette intrusion d’« une foule dans [s]on salon ». Mais l’essentiel de sa réflexion se concentre surtout sur les aspects économiques du problème. Pour beaucoup, la question du logement est hautement problématique, en raison du coût de l’habitat. Quand « un job ne garantit plus un toit », quand « les pouvoirs publics n’ont anticipé ni l’augmentation de la population, ni l’allongement de l’espérance de vie, ni le divorce d’un couple sur trois », quand il y a une forte pénurie de logements et que l’accès à la propriété devient réservée à une infime minorité, quand se séparer de son conjoint implique de vivre dans la misère, le mal logement constitue une entrave réelle à l’épanouissement des gens. Autant  d’opportunités gâchées. Mona Chollet aborde ensuite la question du temps et surtout de sa confiscation. Comment habiter une maison quand le peu de temps laissé par les transports et les horaires de travail éclatés, doit être consacré au ménage et ne peut être consacré à des rituels reposants ? Et l’auteure de dénoncer cette « volonté d’exploiter la main-d’œuvre aussi complètement que possible » dans le capitalisme le plus dur et cette dictature de l’efficacité qui lui sert d’idéologie, où tout est « transformé en une ressource qu’il s’agit de valoriser ». Elle plaide pour un revenu garanti, qui couvrirait les besoins essentiels de chacun et leur permettrait de refuser des emplois dégradants, trop mal rémunérés ou dépourvus de sens.

Un chez-soi, cela pose encore le problème des rapports entre les sexes, notamment autour de la question stratégique du ménage, qui pose aussi celle des inégalités et de la « modernisation de l’exploitation ». « La société dans son ensemble, tout en voulant se croire égalitaire et démocratique, et en prétendant donner les mêmes chances à chacun, continue de reposer pour son entretien sur la consommation de certaines catégories de population – en l’occurrence, les travailleurs peu qualifiés ou sans papiers ». Mona Chollet se penche ensuite sur la question des modèles sociaux et du bonheur familial, notamment des rôles imposés plus ou moins insidieusement aux femmes, dont les choix se trouvent largement conditionnés par l’image de la ménagère et de la mère. « C’est bien à elles qu’il faut vendre la famille, car ce sont elles qui ont le plus à y perdre », en raison du « déséquilibre du bénéfice conjugal ». Elle ironise sur le phénomène américain des « bridezillas », ces pathétiques créatures qui ont tout planifié de leur cérémonie de mariage, depuis les fleurs jusqu’aux tenues de leurs demoiselles d’honneur… avant même d’avoir rencontré le fiancé ! Mona Chollet revient sur l’histoire de l’assignation des femmes au foyer, « par le chantage au bien-être de l’enfant ». Elle souligne l’existence d’autres formes de vie commune que celles du couple hétérosexuel et de la famille nucléaire : personnes seules, couples sans enfants, familles monoparentales, familles recomposées, colocations intra et transgénérationnelles, etc., et rappelle ainsi que la maison est un « moule psychologique », « par les configurations relationnelles » qu’elle permet. Enfin, la maison, c’est le lieu de l’imaginaire, des fantasmes. Mona Chollet s’en prend aux magazines qui créent de la frustration – et non de la révolte – en étalant complaisamment « le mode de vie des riches ». Elle s’en prend aussi aux architectes stars dont l’essentiel de la production s’adresse à quelques privilégiés : « Lorsqu’il arrive à ces grands noms de construire pour le citoyen lambda, à l’occasion d’une commande publique, ils semblent se soucier aussi peu du contexte dans lequel leur bâtiment prend place que des gens appelés à y évoluer ». En regrettant que l’espace habité soit, selon les mots de l’architecte Karim Basbous, « le grand refoulé de la culture contemporaine » et que les grandes réalisations architecturales ne soient envisagées que du seul point de vue de l’art contemporain, elle souligne la sagesse de la tradition japonaise, à la fois écologique, fonctionnelle et élégante, qui fait la part belle au passage du temps. Une réflexion riche et stimulante.

 

Par : Kenza Sefrioui

 

Chez soi, une odyssée de l’espace domestique

Mona Chollet

Éd. La Découverte, Zones, 328 p., 17 €


Comment les gens ordinaires changent le Moyen-Orient

Comment les gens ordinaires changent le Moyen-Orient

Auteur : Asef Bayat

Les voies impénétrables de la démocratie au Moyen orient

 

L’action et le changement social dans le Moyen-Orient musulman, celui des sociétés où la religion semble occuper une position de premier plan,  constitue l’une des questions majeures des travaux  d’Asef Bayat tout au long de sa carrière académique ; son livre , qu’on pourrait  aussi intituler « la politique  par la rue »  ne se distingue pas de cette optique , puisqu’il focalise « sur les diverses façons dont les gens ordinaires, les subalternes luttent pour affecter les contours du changement dans leur société ».C’est ce qu’il appelle « analyser l’histoire de l'action en temps de contraintes », comment les gens font pour découvrir et générer de nouveaux espaces dans lesquels «  ils peuvent exprimer leur dissidence et affirmer leur présence dans la quête de l'amélioration de leur vie ».

Asef  Bayat est actuellement enseignant chercheur de sociologie à l’université de l’’Illinois aux USA , il  fut également pendant plusieurs années  enseignant à l’université américaine du Caire. Né en Iran au sein d’une famille azérie, il a fait ses études doctorales en Grande Bretagne, où il a eu son PHD à l’université de Kent. Il a exercé aussi comme professeur visiteur aux universités d’Oxford, Columbia et Berkeley.

Ce livre initialement écrit avant 2010 fut un des rares recours intelligibles au cours du printemps dit arabe.  Asef Bayat était alors directeur académique de l’Institut Néerlandais international pour les études de l'islam dans le monde moderne (ISIM) à la Leiden University, une entreprise scientifique remarquable combinant rigueur académique et engagement social constructif.

Dans ce travail de recherche et de réflexion il examine ce qu’il appelle les « non-mouvements », c’est à dire les efforts collectifs de millions d'acteurs non collectifs, menés à travers les principales places, rues, ou parmi des communautés du Moyen orient. Son approche espère offrir de nouveaux outils de travail à la science sociale ; il écrit dans son introduction « Mon souhait est que ce livre pourrait offrir une contribution du Moyen-Orient, même modeste, aux débats académiques sur les mouvements sociaux et le changement social ».

Avant 2011, écrit-il, on percevait le Moyen-Orient musulman comme immuable, figé dans ses propres traditions et son histoire. Asef Bayat fait remarquer toutefois que de telles présomptions ne reconnaissent pas les actes du quotidien et de la routine, « cette façon à travers laquelle les gens ordinaires font des changements significatifs par des actions de tous les jours. » « Nous analysons souvent les révolutions rétrospectivement, rarement celles qui sont attendues ou souhaitées, car les révolutions ne sont jamais prévisibles ou prédictibles. »

Bref, « La vie en tant que politique : comment les gens ordinaires changent le Moyen-Orient » est à sa seconde édition écrite et publiée en 2013.Mais sa première version parue quelques mois avant le Printemps arabe fut quasiment prémonitoire, ce livre en temps opportun et prophétique a jeté un éclairage distinct sur les actes de protestation qui étaient en cours.

La deuxième édition fut entièrement mise à jour pour refléter les événements récents ; elle comprend trois nouveaux chapitres sur le printemps arabe et le Mouvement Vert de l'Iran.

Asef Bayat est aussi critique envers le corollaire de l’analyse occidentale selon laquelle la région est entièrement imperméable au changement, c’est-à-dire cette théorie qui table sur les réformes graduelles et sélectives menées par les forces et les pouvoirs en place.

Dans le premier chapitre de son livre, « art of presence », Asef Bayat relève que, depuis longtemps déjà, le principal courant orientaliste en Occident a dépeint le Moyen-Orient musulman comme une entité monolithique, fondamentalement statique, et donc une « exception » sociale.

Pourtant, rappelle-t-il, le Moyen-Orient a été le foyer de nombreux épisodes insurrectionnels, de révolutions à l'échelle nationale, et de divers mouvements sociaux (tel que l'islamisme). Donc pour lui, le Moyen Orient fut un terrain de grands progrès pour le changement, même si l’islamisme avait été pendant longtemps largement exclu du mode d'enquête développé par les théoriciens des mouvements sociaux en Occident. Paradoxalement aussi ; des académiciens de la région ont eu tendance aveuglément à déployer les modèles classiques et les concepts des théories du mouvement social dans les pays occidentaux pour les appliquer aux réalités sociales de leurs pays, sans reconnaître de manière suffisante que ces modèles tiennent de différentes généalogies historiques, et offrent donc peu de secours pour expliquer la texture complexe et dynamique du changement et des résistances dans cette partie du monde.

La réalité du non mouvement est complexe ; mais chaque jour des dynamiques sociales modifient les sociétés du Moyen-Orient de manière généralement non reconnue par les observateurs occidentaux et indésirable du côté des détenteurs du pouvoir dans la région.

Pour l’auteur, une approche fructueuse exigerait des sociologues une innovation analytique qui pense et présente de nouvelles perspectives à l’observation, un nouveau vocabulaire pour parler, et de nouveaux outils analytiques pour donner un sens spécifique aux réalités régionales. Et c’est dans cet état d'esprit qu’il a examiné à la fois les politiques contestataires et les « non-mouvements" sociaux comme principaux véhicules pour produire un changement significatif au Moyen-Orient.

 

Politique contestataire et changement social

 

Examinant presque un siècle d’évènements et d’histoire du Moyen orient, l’auteur met en évidence à la fois le dynamisme des sociétés concernés, la complexité des contextes et des interférences, et comment certaines formes d’organisation des politiques de contestation sont efficaces ou tout au moins à l’origine de réformes non négligeables. Il note également que certains mouvements ont émergé même comme des alternatives aux tendances islamistes plus redoutables dans le Moyen-Orient musulman. L’échec de l'islamisme à introduire un ordre démocratique inclusif a donné lieu à un certain « post-islamisme », qui pourrait remodeler la carte politique de la région.

Asef Bayat considère que le contexte actuel reflète un conflit où des militants religieux continuent de déployer l'islam comme cadre idéologique d’un ordre moral et sociopolitique, alors que les musulmans laïques, les militants des droits de l'homme et, en particulier, les femmes de la classe moyenne ; font campagne contre cette lecture de l’islam souscrivant au patriarcat et justifiant leur assujettissement.

L’auteur prend pour exemple les mouvements des femmes dans la région et en examine les contours sur deux siècles d’histoire puis retombe sur l’actualité pour évoquer les mouvements des jeunes et les protestations menées par les islamistes dans certains pays de la région ; Il consacre dans ce livre deux chapitres très riches en données et en analyse au « féminisme ordinaire », (ou celui de tous les jours), et la relation de l’islam et de l’islamisme aux loisirs ; à l’art et au « drôle ».

Il qualifie de post islamisme ces courants qui tentent de défaire l'islamisme comme projet politique en fusionnant foi et liberté ; Etat démocratique laïque et société religieuse. Il voit en eux des projets qui cherchent à marier Islam et libertés individuelles, démocratie et modernité, dans l’optique de générer ce que certains ont appelé la « modernité alternative ».

Parallèlement au courant post-islamiste, Asef Bayat constate et reconnait que l’islam continue de servir d’idéologie mobilisatrice cruciale encadrant le mouvement social dans le contexte d’un moyen orient intolérant et répressif, se déployant contre les mouvements contestataires notamment en Egypte, ou en Iran.

 

Politique de la rue et la rue de la politique

 

L’espace public urbain continue à servir de théâtre clé à la contestation, vendeurs ambulants squattant les espaces publics, les jeunes qui s’installent dans les coins des quartiers, les enfants de la rue et leurs communautés, les femmes qui prolongent leurs activités sur les passages et voies publiques ; ou les manifestants qui défilent, mettent tous en cause les prérogatives de l'Etat relatives à la maitrise des voies publiques et donc peuvent faire l’objet de représailles. Avec une analyse très fine des formes d’organisation des actions contestataires dans les espaces publics. Asef explique qu’au-delà du conflit entre des autorités et des groupes désinstitutionnalisés ou informels sur le contrôle de l'espace public, les rues des villes sont des espaces où se forgent les identités et s’agrandissent les solidarités, au-delà de leurs cercles immédiats, pour inclure des inconnus, des étrangers ou des passants occasionnels en mesure d'établir une communication latente avec les autres, reconnaissant leurs intérêts mutuels et des sentiments partagés.

Cette approche permet à Asef de mettre en relief des tendances ou courants et sensibilités socio politiques du Moyen orient peu étudiés ou identifiés jusque-là ; et aussi de voir dans des acteurs locaux les seuls auteurs des améliorations politiques et sociales survenues. Ce qu’il appelle « l'art de la présence » c’est « le courage et la créativité d'affirmer une volonté collective, en dépit de tous les obstacles, pour contourner les contraintes, en utilisant ce qui est disponible et découvrir de nouveaux espaces à l'intérieur desquels on se fera entendre, voir, sentir, et se réaliser ".

Bayat présente de larges illustrations de son modèle de changement social insistant sur le fait que l’évolution en cours démontre que grâce aux pratiques banales de la vie au jour le jour, des gens ordinaires réduisent à la fois ; la puissance des Etats autoritaires et le pouvoir des mouvements religieux, et donnent ainsi lieu à des changements sociopolitiques au sein de leurs communautés, villes, gouvernements, religions, et eux-mêmes.

D’une certaine manière, Bayat met l'accent sur la façon dont les gens exercent en période de mondialisation, le pouvoir dans des espaces de contraintes néocoloniales ; il croit au signe avant-coureur de transformations démocratiques et d’un tournant d’époque vers la réforme post islamique progressive. Il croit identifier ces changements au sein des pratiques publiques des différents non-mouvements qu’il a étudiés ; mais il ne dispense pas les citoyens de la région de la nécessité de pratiquer une action politique plus claire et déclarée en faveur des changements politiques, ni de les voir consacrer une attention particulière aux impératifs économiques inévitables , imposées de l'extérieur.

 

Par : Bachir Znagui

Asef Bayat, Street politics, Ed. Stanford University Press, 2013

 


Éloge du chef d’orchestre

Éloge du chef d’orchestre

Auteur : François Malhaire et Hubert Dunant

 

François Malhaire et Hubert Dunant rappellent l’importance d’un leadership qui n’ait pas en ligne de mire la seule finance, mais aussi l’humain.

 

Responsabilité et conscience. Ce sont les deux maîtres mots de cet ouvrage. Si l’efficacité constitue son objectif premier, le leadership doit être avant tout humain et éthique. Tel est le propos de François Malhaire et d’Hubert Dunant. Le premier, lauréat de HEC, est issu du monde de l’entreprise et spécialiste de conduite du changement, le second, Saint-Cyrien, a été officier de carrière. Dans ce livre écrit à quatre mains, ils partagent leurs expériences issues de domaines très différents et transmettent leurs réflexions sur la question de la direction des hommes et surtout de l’éthique du chef.  « L’association du monde entrepreneurial et du monde militaire est riche pour réfléchir aux buts et aux difficultés que rencontrent des meneurs d’hommes, tournés vers une obligation de résultat, avec des moyens contraints et un impératif de préservation du capital humain. » Au cœur de leur propos, l’idée qu’il est dangereux de séparer les performances économiques de l’épanouissement humain. Tous deux prennent nettement position contre « les scènes de capitalisme parfois outrancier dont nous avons souvent récemment été les témoins ». « Le leadership dans les entreprises d’Europe ou d’Amérique du Nord s’est dégradé depuis la montée en puissance de néoconservateurs américains, dans les années 1980, d’un libéralisme exacerbé, d’une spéculation parfois extravagante ». C’est donc la notion de justice qu’il s’agit de mettre en avant. Les auteurs plaident pour un « leadership de service réciproque » dans lequel l’acceptation du pouvoir n’équivaut pas avec une aliénation de la liberté individuelle mais constitue « une collaboration loyale et librement consentie [qui] n’exclut en rien le droit, voire le devoir, d’exprimer un désaccord sur ce qui semble incompatible avec le bien de la communauté ».

 

Justice et humanisme

 

La première partie consiste en un tableau très général des leaders qui ont ouvert de nouveaux horizons au monde. Gutenberg et Bill Gates sont les deux noms les plus cités. « Johannes Gutenberg a ouvert le monde de la lecture à des millions de personnes, Bill Gates ouvre celui de l’écriture efficace à des milliards d’hommes ». Leaders religieux, philosophes, scientifiques, écrivains, artistes, musiciens, personnalités politiques, explorateurs, conquérants, libérateurs… tous se sont distingués par leur humanisme et l’influence qu’ils ont eue sur leur entourage. Il s’agit de personnes qui ont cultivé « plus une culture de l’être que de l’avoir », qui ont transformé la vie de dizaines voire de millions d’être humains et dans lesquelles les auteurs voient « une vraie aristocratie » – même si les femmes devraient encore, disent-ils, y bénéficier d’une discrimination positive. Parmi les caractéristiques de ces leaders, « de fortes intelligences techniques, orientées création ou innovation, commerce, finance, capacités de choix ou d’inspiration des personnes ». L’accès au capital, très inégal, est secondaire. Et surtout, il faut une « haute valeur éthique » : le leader est à l’opposé du trader, « plus prédateurs que créateurs de richesses ». Les auteurs sont d’ailleurs favorables à la taxation des transactions financières suggérée par l’économiste James Tobin et déplorent le « at-will employment », qui contourne le droit du travail aux États-Unis, comme marque d’un système « qui fait peu de cas de l’individu ». Le leader doit aussi être créatif, efficace, rester humain, donner l’exemple, porter la charge… Les auteurs déclinent plusieurs styles de leadership (coercitif, autoritaire, affectif, créatif, démocratique, meneur, coach), les contextes de la vie de l’entreprise dans lesquels chacun est le plus utile, l’impact sur le climat de travail, les compétences émotionnelles sous-jacentes. Il faut savoir établir le respect, déléguer, maintenir la confiance malgré la peur du danger et des incertitudes, être loyal, communiquer efficacement à l’attention des différentes parties prenantes (actionnaires, collaborateurs, clients, fournisseurs… La seconde partie analyse les critères d’efficacité : sur le plan  de la stratégie (facteur moral, prise en compte de la concurrence, manœuvre), de la performance sans être obnubilé par des indicateurs chiffrés, du marketing, de la relation client, de l’information, de la qualité etc. Les deux dernières parties, très brèves, évoquent, l’une, la façon d’atteindre ces buts, entre sagesse et recherche d’un équilibre personnel et professionnel, en conciliant des intérêts multiples, et l’autre, la mise en œuvre d’un leadership créatif, efficace et humain, fondé sur la recherche de consensus, du sens, et l’exemplarité.

« 38 % des personnes se perçoivent comme mal dirigées. Le leadership du XXIe siècle n’est plus celui du XXe siècle », concluent les auteurs. L’ouvrage, qui s’adresse à des « autodidactes chefs d’entreprises » et à de jeunes cadres, se veut « réaliste, constructif, mais sans panacée ». Cependant, on aurait apprécié qu’ils développent certains points de façon plus concrète. François Malhaire et Hubert Dunant insistent en effet plus sur les grandes pensées religieuses et philosophiques pour penser le leadership que sur les études consacrées au leadership d’entreprise. Ils effleurent rapidement les théories de Maslow sur les motivations humaines, de Maxwell sur le leadership 360°, de Goleman sur des styles de leadership d’entreprise, ou encore de Bill Gates sur le « capitalisme créatif ». Si le propos est évidemment d’un grand intérêt, on regrettera des généralités sur « la très discutable culture du conflit et de la grève des Latins » opposée à la soi-disant « culture du consensus des Anglo-Saxons ». Et surtout, le plan déséquilibré et le texte, saucissonné en brefs paragraphes par des intertitres qui finissent par casser la démonstration, laissent aux lecteurs une impression de survol superficiel.

 

Par : Kenza Sefrioui

 

Vers un leadership créatif, efficace et humain

François Malhaire et Hubert Dunant

Gereso édition, 334 p., 25 €


Comment réussir la succession en entreprise familiale ?

La transmission de l’entreprise familiale est complexe.  Elle implique à la fois le transfert de pouvoir de décision, de l’expérience et de la propriété.

Ces transferts ne se produisent pas simultanément et ne sont pas toujours en corrélation. Généralement, l’expérience est transmise bien avant le pouvoir de décision et la propriété. Toutefois, elle n’est pas toujours la clé de transmission des deux autres éléments. Ce n’est pas parce qu’il y a eu transfert de compétences qu’il y a forcément succès de la succession.


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Quelle place pour le Maroc dans un nouvel ordre atlantique ?

Au vu de l’émergence des BRIC’s, de l’accélération de l’accord de libre-échange USA-EU (TTIP : Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement), de l’engouement massif pour le continent africain, du développement des échanges Sud-Sud, et des nouvelles articulations que supposent ces données relativement récentes, nous nous interrogeons sur la place du Maroc dans cet espace atlantique en mutation, et s’il en venait à considérer l’ancrage atlantique comme une option viable.

Edito 25: Maroc, la presqu’île étoilée

Avec ses deux longues façades maritimes, son interminable corridor à l’Est, bloqué par l’inimitié maroco-algérienne et son mur de sable sécuritaire au Sud, le Maroc ressemble de plus en plus symboliquement à une presqu’île. Au-delà des faits géographiques et données frontalières, la quasi-insularité du Maroc a une résonnance dans les esprits, avec un discours de plus en plus huilé et reproduit par les élites sur « l’exception marocaine », comme seul « rescapé de la région ».

Enfin une stratégie pour l’emploi !

Tout au début de cet été que nous venons de quitter, Mr Seddiki, ministre de l’Emploi a évoqué un sujet d’extrême importance, lequel est passé inaperçu ou presque auprès des médias. Il faut dire que l’agenda national a été depuis le mois de mai 2015 quasiment burlesque ; examens, Ramadan, fêtes traditionnelles, vacances annuelles, élections, rentrées de tout ordre ….

« Si c’est gratuit, c’est toi le produit ! »

« Si c’est gratuit, c’est toi le produit ! »

Auteur : Richard Malka

L’avocat français Richard Malka alerte sur les dangers de la réforme du droit d’auteur par la Commission européenne. Une réflexion d’actualité sur une question cruciale à l’heure de la mondialisation et du numérique.

 

« Le droit d’auteur, historiquement, a libéré les auteurs et les idées. Il constitue pour le consommateur la garantie d’un accès libre à la connaissance, la condition de la diversité des savoirs et, surtout, la condition de l’existence même de ces savoirs », martèle Richard Malka dans un livret qui alerte l’opinion publique sur les dangers de la révision, initiée le 6 mai dernier par la Commission européenne, de la directive « Droit d’auteur », dans le cadre de la communication « Stratégie pour un marché unique numérique en Europe ». Pour l’auteur de BD et avocat spécialiste en droit de la presse, ce projet vise à déréguler un droit très ancien appuyé sur un corpus législatif « initié au XVIe siècle par la République de Venise, ayant largement contribué à la Renaissance italienne, poursuivi en Angleterre par une loi de 1710 puis aux Etats-Unis en 1790 (première loi fédérale). Enfin, évidemment, en France, il a participé aux Lumières et a été sacralisé par les lois révolutionnaires de 1791 et 1793, abolissant en particulier les privilèges dont devaient précédemment jouir les auteurs pour avoir le droit de vivre de leur création. » Cette protection est aujourd’hui attaquée par les lobbyistes défendant la vision néolibérale et les intérêts des grandes sociétés de l’Internet. Dans ce livret, distribué gratuitement en librairies en France par le Syndicat national de l’édition et consultable en ligne en français et en anglais, Richard Malka démonte méthodiquement l’argumentation.

D’abord, cette révision n’a pas de nécessité économique. En Europe, l’industrie du livre génère un chiffre d’affaires de 5 milliard d’euros et 80 000 emplois, et le livre numérique ne représentent pas plus de 5 % des ventes. Les quelque 20 % qu’il atteint dans les pays anglo-saxons – et c’est un plafond – sont liés à l’effondrement du réseau de librairies. De nombreuses mesures ont déjà été prises pour adapter le secteur aux nouvelles technologies : toutes les nouveautés sont déjà numérisées et les éditeurs devraient avoir numérisé 90 % de leur fonds d’ici dix ans ; un accord auteur-éditeur a adapté le contrat d’édition au numérique en 2013 ; il existe de nombreuses plateformes de distribution numérique, dont de très riches plateformes scolaires et universitaires, une offre accessible avec des programmes de prêt numérique en bibliothèque, etc.

 

Chèque en blanc aux grandes sociétés de l’Internet

 

Richard Malka s’inquiète des conditions peu démocratiques qui entourent ce débat : aucun des 28 États membres ne demandait la réouverture de ce dossier, rapports orientés, consultation en anglais uniquement « en dehors de toute définition d’un panel scientifique, avec des questions totalement orientées et des réponses pré-formatées, réalisées par des groupes hostiles aux droits d’auteur », manque de transparence sur l’impact économique de la réforme envisagée… « Cette réforme, applaudie par les lobbyistes de Google, Apple, Facebook et Amazon, en totale adéquation avec leurs attentes telles qu’exposées, par exemple, dans un document intitulé Manifeste sur le droit d’auteur, relève donc d’une initiative exclusivement technocratique, détachée de la moindre nécessité économique, dénuée de toute légitimité démocratique, induisant l’affaiblissement d’une des industries européennes les plus importantes. Ceci au seul bénéfice de firmes internationales qui, non seulement refusent d’acquitter leurs impôts sur le sol européen, mais rejettent en outre depuis des années tout régime de responsabilité juridique, ne s’estimant soumises qu’au droit américain et évoluant en situation de quasi-impunité juridique (en particulier en matière de responsabilité sur les contenus diffusés). »

Cette réforme aurait pour conséquence de revenir de fait sur le principe de rémunération de l’auteur, qu’elle ne supprime pas mais rend hypothétique tant les 21 exceptions obligatoires prévues sont élargies. Richard Malka en détaille quelques-unes. Le prêt numérique en bibliothèque sans limitation, hors de toute concertation entre auteurs, éditeurs, bibliothécaires et collectivités locales anéantirait les équilibres du secteur et cannibaliserait la vente de livres numériques. La fouille de texte illimitée et sans dédommagement, hors des licences contrôlées qui existent déjà, découragerait les éditeurs d’investir : « Cette destruction de valeur ne profiterait en réalité qu’à des acteurs tels que Google, qui ne tirent pas leur rémunération des banques de données elles-mêmes, qu’ils pourraient ainsi « aspirer », mais de la monétarisation publicitaire du contenu qu’ils offrent. » Il y a risque de monopole et « comment s’assurer que l’accès aux contenus proposés ne deviendra pas payant ? » L’exception pédagogique ? De la démagogie et une négation du travail intellectuel des auteurs et des éditeurs. « Une telle exception, portée par un discours généreux invoquant l’accès universel et global à la connaissance, aurait aussi peu de sens que d’imposer à EDF de fournir l’électricité gratuite aux lycées et collèges », ironise l’auteur. Ce serait l’anéantissement du marché de l’édition scolaire, la disparition d’une offre privée diversifiée au profit d’une offre étatique ou liée à des firmes monopolistiques, donc le formatage intellectuel et la menace de vérités officielles : « Quid de l’enseignement sur la théorie du genre, le créationnisme, la vision de la colonisation ou sur tout sujet délicat ? » L’État pourrait même être dépossédé de sa propre politique culturelle.

Atteintes au droit moral des auteurs, diminution de la durée de protection des œuvres, qui est « une source importante de financement de la création contemporaine »… Ce projet de révision est une attaque en règle contre l’économie culturelle européenne, au nom d’une illusion de gratuité. Richard Malka, qui emprunte son titre au livre contre le piratage de l’ancien PDG de la FNAC (Grasset, 2007), s’inquiète d’un retour au système de l’Ancien Régime, où les créateurs n’étaient pas rémunérés proportionnellement aux ventes de leurs œuvres, mais subventionnés par des mécènes. Dans le monde actuel où les opérateurs résistent farouchement au prélèvement sur les supports informatiques pour compenser la copie privée, les auteurs n’auraient donc aucune garantie. Sans parler des risques de censure, dont les exemples sont déjà nombreux, à l’instar de l’interdiction par Facebook de la diffusion de L’Origine du monde de Courbet. Si les sociétés de l’Internet ont tout à gagner à cette réforme, les auteurs ont tout à perdre et, avec eux, la diversité et la liberté.

 

Par : Kenza Sefrioui

 

La gratuité, c’est le vol. 2015 : la fin du droit d’auteur ?

Richard Malka

À télécharger ici : http://www.sne.fr/wp-content/uploads/2015/09/R.Malka_LaGratuiteCestLeVol.pdf


Origines et évolutions du travail

Ce billet s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche sur le sens et la valeur que l’on accorde au travail dans le contexte marocain. Ce qui suit fait l’objet d’une brève synthèse sur l’évolution de la notion de travail dans le monde, avec une mise en lumière d’éléments problématiques actuels à l’aune du thème des modes de production nouveaux dans les entreprises.

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